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Chronique de Gaby
Vous non plus, vous n’étiez pas prêts ?
Je vous comprends. Moi, c’est pareil. Honnêtement, quand le 5 juillet est arrivé, je me suis auto-congratulée. C’est bon Gaby ! Tu l’as fait ! Tu as réussi ! Tu as passé la ligne d’arrivée de ce put*** d’Ironman (Ndlr : un des plus longs triathlons, 226 kms) d’année judiciaire sans tuer personne ! Et puis voilà. Le temps d’aller au barbec’ du Jeune barreau de Huy, de vider les mallettes et de remplir les valises, on s’est retrouvés à la rentrée en moins de temps qu’il n’en faut pour vider un rosé piscine !
Je ne voudrais pas paraître ingrate. C’est vrai, cette réforme du rythme scolaire, ça nous permet quand même d’avoir deux toutes petites semaines de vacances judiciaires sans mouflets dans les pattes. (Ça passe vite, 2 semaines…)
En plus, j’adore la rentrée. J’adore aller acheter des nouvelles fournitures, choisir un papier à recouvrir avec les étiquettes coordonnées, imperméabiliser le nouveau sac de gym… Ranger ma mallette, nettoyer mon stylo, acheter un nouveau bloc-notes. On revient reposés, tout bronzés, plein de bonnes résolutions.
Les collations maison sont prêtes. Le réveil est mis une demi-heure plus tôt pour profiter du miracle morning. On se démaquille ET on s’hydrate tous les soirs. On fera sa compta TOUS les vendredis pour avoir le temps d’examiner nos tableaux de bord et ainsi optimiser la rentabilité de notre entreprise, ce qui nous permettra de gagner 4 x plus en travaillant 2 x moins (merci les Universités d’été pour ce tuyau en or !)
Mais avec l’expérience, on sait. On sait que c’est le premier sac de gym d’une looooongue série de sacs qui seront oubliés dans le car, sous le préau, au crochet… On sait que le nouveau bloc-notes finira tout écorné au fond de la mallette sous 4 dossiers papier parce que NON, on n’a pas eu le temps de numériser toutes les pièces et NON, on n’a pas encore la tablette connectée qui nous permet d’avoir accès à tout, partout, tout le temps. On sait qu’on a besoin de dormir 8h par nuit et que si le réveil sonne à 6h, le miracle morning sera suivi de très près par un dragon breakfast. On sait que vendredi, la compta sera remplacée par une réunion de coordination chez un administré qui a décidé d’insulter toutes les aides familiales qui viennent chez lui, et qu’il faut les convaincre de continuer à venir parce qu’il ne sait pas faire ses courses mais qu’il ne veut pas aller en maison de repos…
Mais on y va quand même. On joue le jeu à fond. Parce que le jour où j’arrêterai d’acheter des nouveaux blocs-notes, c’est que je n’aurai plus rien à y écrire. Et puis, le propre des avocats (des êtres humains ?) n’est-il pas de passer son temps à se plaindre d’une vie qu’au fond, on a choisie, et qu’on n’échangerait pas contre celle d’un juriste de chez Axa ?
Entendons-nous, j’ai beaucoup d’estime pour les juristes de chez Axa. Pour les fonctionnaires de la TVA et les proctologues également. Ce n’est pas pour autant que je voudrais passer chaque jour de chaque semaine entre les 4 mêmes murs à regarder des trous de balles.
Et donc, c’est le cœur vaillant que le 2 septembre, après un déjeuner healthy, j’ai enfilé mes talons (après 2 mois de tongs, ça n’a pas été le meilleur moment de ma journée), j’ai déposé les 3 amours de ma vie à l’école (l’avantage de cette rentrée anticipée c’est que j’ai déjà fait l’effort le lundi précédent de les amener dans la cour, et j’ai donc pu reprendre mes bonnes habitudes et les larguer sur le parking. Je leur ai dit : cette année, notre mot mantra est AU-TO-NO-MIE), j’ai évité les embouteillages grâce à un timing parfaitement maîtrisé, et je suis arrivée au bureau, prête à affronter les dossiers que je n’ai pas eu le temps de traiter avant mes congés, ceux qui sont arrivés pendant mes congés (sérieusement les gens, vous n’avez pas envie de mettre vos problèmes sur pause en été ??) et ceux qui vont arriver parce que c’est la rentrée, et qu’à la rentrée, tout le monde se remet en marche. Y compris les problèmes.
Le programme de la journée était simple et réglé comme du papier à musique : retrouver les collaborateurs et les secrétaires, s’extasier devant leurs photos de vacances, compatir à leurs mésaventures estivales, boire un café, papoter, médire, jeter un œil à l’agenda (2 audiences sur la semaines, les collaborateurs s’en chargeront), traiter une quantité non négligeable de mails, avant de quitter le bureau à une heure parfaitement raisonnable, reprendre les 3 amours de ma vie à l’heure prévue, rentrer à la maison, les faire goûter, et superviser les devoirs tout en m’attelant à la préparation du souper, pour accueillir mon mari telle une Caroline Ingalls des temps modernes.
Cette chronique n’aurait évidemment aucune saveur si les choses s’étaient passées comme ça.
J’ai d’abord dû constater à mon arrivée au bureau que :
- Une des secrétaires avait manifestement décidé un fois pour toute qu’elle travaillait en horaire flottant, et laissé un message indiquant qu’elle arriverait « courant de matinée », « désolée vraiment mais c’est exceptionnel ». Rien de bien grave me direz-vous. Sauf que les médiés n’attendent pas leurs sous le premier jour ouvrable du mois en horaire flottant. Allez Gaby, une petite session net banking pour la reprise, c’est bien pour y aller en douceur.
- La femme de ménage avait elle aussi pris des congés. Ce qui est bien son droit évidemment. Mais apparemment, personne en son absence et la mienne n’avait considéré l’opportunité de vider les diverses poubelles installées çà et là pour le confort de tout un chacun. Ni d’arroser les plantes d’ailleurs. Je suis peut-être vieille école, mais l’idée d’accueillir des potentiels clients dans une salle d’attente où trône un Spathiphyllum Chopin (je viens de regarder sur Google, aucune idée de comment ça s’appelle, c’était un achat compulsif de fin de virée chez Ikéa) crevé me laisse dubitative. Comment les convaincre que je vais bien m’occuper de leur conflit de voisinage si je ne sais même pas tenir une plante verte en vie ? J’ai donc passé l’heure suivante à faire ce qui doit être fait mais que personne ne fait.
- Un mail urgent avait été adressé fixant une audience ledit lundi à 11h30. Est-ce que quelqu’un l’a lu, imprimé, et reclassé dans le dossier sans envisager la possibilité de prévenir le titulaire dudit dossier (moi) ? Tout à fait. Ravalant le chapelet d’insultes qui me sont venues à l’esprit en une fraction de seconde, je suis allée chercher le dossier, et en essayant de me rappeler vaguement le problème, me suis mise à
courirmarcher rapidement (quelle idée à la con ces talons vraiment) vers ma voiture pour me diriger au Palais, où j’ai immanquablement été accueillie d’un « Maître Marsein ? On ne vous attendait plus ! »
Après, les choses se sont enchaînées. Je suis évidemment arrivée en retard à la sandwicherie où je devais retrouver une amie (« Aaaaah, Gaby, je vois que tu ne t’es pas acheté une montre ces vacances-ci »).
Une anecdote en entraînant une autre, je n’ai pas vu le temps passer et je suis revenue au bureau vers 14h30, bien décidée à poursuivre ma journée telle qu’elle était prévue. Sereinement.
Mais c’était sans compter un client qui avait manifestement confondu 2 septembre à 2h et 9 septembre à 9h, et m’attendait donc sagement dans la salle d’attente (« Aaaaah, Maître, je vois qu’on est toujours aussi occupée ! » ; Oui, Michel, et toi tu es toujours aussi dyslexique). J’aurais pu (j’aurais dû ?) le remballer. Mais Michel paie ses provisions rubis sur ongle et je n’ai pas vraiment le luxe de me fâcher avec les clients qui paient. Qui plus est, Michel est fort gentil et tant qu’à aider les gens, je préfère le camp des gentils.
Ceci fait, on approchait dangereusement d’un milieu d’après-midi sans l’ombre d’un mail lu.
C’est plus ou moins à ce moment là que j’ai lâché prise. Il est écrit dans les astres que Maître Marsein est en retard, c’est tout. Il vient un moment où il ne sert plus à rien de lutter.
J’ai déroulé 254 mails, dicté 24 minutes de réponses rapides, entassé 6 piles de dossiers que je ferai demain parce que demain sera une journée calme, dit aurevoir aux 2 courageux collaborateurs encore présents (je SAIS qu’ils attendent que je parte pour faire pareil. Pas de chance pour eux, je crois qu’ils avaient misé sur beaucoup plus tôt. MOI AUSSI !), filé aussi vite que mes talons le permettaient, fait un arrêt chez le primeur pour cuisiner des légumes frais pour ma petite famille (je n’allais quand même pas abandonner toute résolution le premier jour. Laissez m’en pour demain) et roulé à vitesse modérée jusque l’école (j’ai pris 8 PV sur les 6 derniers mois, je n’ai plus les moyens de rouler vite. De toutes façons, au point où j’en étais…).
C’est le cœur rongé par la culpabilité que j’ai poussé la porte de la garderie, où je m’attendais à trouver 3 enfants au bord des larmes, assis sur leurs chaises manteau attaché et cartable au dos, convaincus que leur mère les avait abandonnés et tellement soulagés de me trouver en vie qu’ils allaient courir vers moi et jurer d’être gentils jusqu’à la fin de leurs jours.
Je n’ai pas été déçue.
Ils étaient tellement absorbés par leur partie de Dobble qu’ils ne m’ont même pas entendue arriver. A leur décharge, la surveillante était en train de hurler « BOUUUUCHE ». Je me suis signalée d’un petit bonjour discret, accueilli d’un
« Haaaaan mais t’es déjà làààààààààà ?? Mais on s’amusait bien nous. On finit la partie, attends-nous dans la voiture ».
Maître Marsein, jamais là où on l’attend, toujours là où on ne l’attend pas !
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