Comment et pourquoi l’Etat belge contraint certains avocats à pratiquer la discrimination

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Ce 1er septembre 2023, un pan important de la réforme du Conseil d’Etat est entré en vigueur… ou presque.

En effet, le législateur fédéral a perdu une belle opportunité de faciliter la vie des avocats et il nous a savamment concocté un nouveau régime applicable aux « recours et demandes » introduit(e)s à partir de ce 1er septembre 2023.

Diverses modifications entreront par ailleurs en vigueur le 1er janvier 2024 et le 1er janvier 2025 …

De quoi contraindre, une fois n’est pas coutume, les avocats à pratiquer à l’avenir la discrimination – certes entre dossiers uniquement en ce qui les concerne.

Les uns devront être traités selon les nouvelles dispositions tandis que les autres resteront soumis aux anciennes normes. Vu l’arriéré existant, cette situation dichotomique risque malheureusement de durer quelque peu.

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Vous qui avez lu « Conseil d’Etat » et sentez déjà l’ennui, voire l’angoisse, vous étreindre.  

En effet, si cet article vise à vous présenter quelques grands points de la réforme, il pose également des question fondamentales, telles :  

Pourquoi les plus courtes sont les meilleures ?

L’article 2, § 1er, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 a été complété et il prévoit désormais notamment que :

« Si le moyen nécessite des développements, la requête comprend un résumé du grief allégué. L'absence de résumé du grief ne peut conduire à l'irrecevabilité du moyen ».

Les articles 6 et 52 ont également complété pour prévoir une obligation similaire pour la partie adverse et la partie intervenante.

Aucune sanction n’est prévue si les parties omettent leur obligation.  

Je ne peux que le saluer vu la sévérité des dispositions déjà en vigueur.  

Cependant, prévoir un résumé présente un réel intérêt dès lors qu’il est destiné à figurer dans le rapport et dans l’arrêt, et qu’il permettra, le cas échéant, de mieux vous faire comprendre.

J’ajoute que même si la loi et le règlement de procédure ne le prévoient pas, insérer une table des matières peut parfois présenter un réel intérêt, notamment lorsque la complexité de l’affaire implique de longs écrits.

Comment occuper son temps libre, le 21 juillet ?

L’article 101/1 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat a été complété par un alinéa 2, rédigé comme suit :

« Sans préjudice des délais spécifiques et des traitements prioritaires réservés à certains recours, prévus par la loi, le Roi détermine, par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, les affaires relevant d'un intérêt public supérieur qui nécessitent également un tel traitement. Il détermine également, selon les mêmes modalités, les mesures organisationnelles nécessaires que le collège des chefs de corps peut prendre à cet effet ».

Une nouvelle autre forme de discrimination est ainsi prévue, en faveur de certains dossiers considérés comme prioritaires.
Les contentieux concernés et les mesures d’exécution figurent dans l’arrêté royal du 21 juillet 2023 déterminant les affaires relevant d'un intérêt public supérieur et les possibles mesures organisationnelles de ces affaires au sens de l'article 101/1, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973.

Sont en substance concernés les dossiers de grande ampleur dans le domaine de la transition énergétique. Les parties sont invitées à signaler toute affaire qui entre dans le champ d’application de ces dispositions.

Ici encore, je relève que le législateur a été particulièrement inspiré puisque l’article 101/1 nouveau des LCCE est entré en vigueur le 1er septembre 2023 pour les demandes et recours introduits à partir de cette date … tandis que son appendice nécessaire n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2024.

Gageons que ce nouveau no(wo)man’s land juridique ne cause pas trop de difficulté.

Soyez cependant rassurés : l’arrêté produira ses effets jusqu’au 1er janvier 2030 et continuera à s’appliquer aux recours introduits avant le 1er janvier 2030.

Comment une multiplication par deux peut en réalité constituer une division ?

L’article 52, § 1er, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 a été modifié et prévoit désormais notamment que « la requête en intervention est introduite dans un délai de soixante jours ».

Le délai utile pour faire intervention dans le cadre de la procédure en annulation a donc été étendu à 60 jours, au lieu de 30 jours, mais il s’agit désormais d’un délai unique.

Le mécanisme des ordonnances statuant provisoirement sur la recevabilité est donc supprimé et les parties devront immédiatement développer leur(s) position(s).

Comme auparavant, il est toujours prévu, en l'absence de notification ou de publication, que « la chambre saisie de l'affaire peut permettre une intervention ultérieure pour autant qu'elle ne retarde pas la procédure ».

Vacances, pourquoi je n’oublie rien du tout … ?

L’article 91 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 a lui aussi été complété, pour prévoir que :

« Les délais prescrits pour les actes de la procédure, égaux ou inférieurs à trente jours, sont augmentés de quinze jours lorsque, à la suite de la computation effectuée en application de l'article 88, ils prennent cours et arrivent à échéance entre le 1er juillet et le 31 août. »

Attention, cette disposition ne vise que les délais égaux ou inférieurs à trente jours.

Le praticien sera donc attentif à ne pas réserver plus de trois semaines de vacances, quelles que soient les promotions offertes.

La disposition ne vise en outre que les délais qui prennent cours et viennent à échéance entre le 1er juillet et le 31 août 2023.

Le praticien sera donc attentif à ne pas réserver en dehors de ces périodes de congés scolaires, quelles que soient les promotions offertes.

La disposition ne concerne enfin pas tous les dossiers mais s’applique uniquement aux recours et demandes introduits au Conseil d'État à partir du 1er septembre 2023.

Le praticien sera donc attentif à opérer un tri dans ses dossiers … ou renoncera purement et simplement à ses congés.

Un dernier mémoire pour la route ?

L’article 14, al, 2, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 précise désormais le contenu du dernier mémoire et indique que :

« Chacune des parties a trente jours pour déposer un dernier mémoire avec, le cas échéant, la demande de poursuite de la procédure. Sauf si des éléments nouveaux doivent être communiqués et à l'exception des demandes formulées en application des articles 14ter, 35/1, 36, § 1er, alinéa 1er, première phrase ou alinéa 3, et 38, § 1er, des lois coordonnées, les derniers mémoires se limitent à réagir synthétiquement aux arguments développés dans le rapport de l'auditeur ou dans le dernier mémoire des autres parties. »

Le dernier mémoire n’est donc pas un mémoire de synthèse.

Le texte confirme en cela la pratique antérieure.

Reste que l’adverbe « synthétiquement » pose question. Gageons qu’il sera interprété souplement par la Haute Juridiction administrative, l’avocat demeurant avant tout le représentant des intérêts de son mandant … ce qui peut parfois appeler à développer ses positions avec le degré de précision nécessaire.

Cependant, « si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant » : les répétitions demeurent, quant à elles, inutiles.

N’oubliez pas le bas …

Un nouvel article 27/1 est inséré dans les LCCE, qui prévoit la possibilité de tenir des audiences par visioconférence :

  • Dans des circonstances exceptionnelles (la crise sanitaire est évoquée dans les travaux préparatoires) ;
  • Dans le cadre de procédures de demande de suspension d’extrême urgence ;
  • Pour autant que cela soit raisonnable et opportun au regard des circonstances de la cause ;
  • Moyennant l’accord des parties ;
  • Et sauf impossibilité technique.

Des garanties sont par ailleurs prévues paragraphe 2 pour ce qui concerne l'organisation et le déroulement de l’audience.

Le suspense est à son comble …

Les procédure en suspension et en suspension d’extrême urgence sont appelées à évoluer radicalement.

Ces modifications entreraient en vigueur au 1er janvier 2025.

Elles font cependant déjà l’objet de plusieurs recours à la Cour constitutionnelle.

Dès lors, « courage … fuyons » : l’auteur de ces lignes abordera, le cas échéant, les nouveautés applicables le moment venu. Pour l’heure, elle renvoie aux écrits de la procédure 12.

Petite pensée finale pour Jean-Claude DUSSE

Je conclus en évoquant quelques nouveautés, sans doute plus marginales mais qui méritent néanmoins d’être mentionnées.

Ainsi, lorsqu’une demande de maintien des effets de l’acte ou du règlement attaqué ou une demande de décision réparatrice est introduite au stade du dernier mémoire, l’auditeur pourra désormais déposer un rapport complémentaire, « limité à cet objet », au plus tard sept jours ouvrables avant l’audience.

Les demandes d’audition adressées au Conseil d’Etat lors de l’application des délais « couperets » devront par ailleurs dorénavant être motivées.

La boucle administrative est enfin réintroduite, certes de manière limitée, alors que la précédente mouture du texte avait fait l’objet du courroux de la Cour constitutionnelle.

L’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ces nouvelles dispositions !

Elisabeth KIEHL


 

Sources : la loi du 11 juillet 2023 « modifiant les lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973 » - arrêté royal du 21 juillet 2023 « modifiant divers arrêtés relatifs à la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'État » - arrêté royal du 21 juillet 2023 « déterminant les affaires relevant d'un intérêt public supérieur et les possibles mesures organisationnelles de ces affaires au sens de l'article 101/1, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973 ».

 

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