Le ministre au chevet des stagiaires

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« Cela fait longtemps que l’on réfléchit à l’avenir de la profession d’avocat et aux changements nécessaires à cet effet. La profession d’avocat doit être modernisée d’urgence. Le monde qui entoure l’avocat évolue à une vitesse fulgurante et la profession doit y frayer son chemin afin de maintenir une position primordiale et indispensable dans l’Etat de droit ».

« LE MINISTRE AU CHEVET DES STAGIAIRES »

L’avant-projet de loi sur la modernisation de la profession d’avocat tel qu’il a été adopté en première lecture par le conseil des ministres le 15 septembre dernier aurait, s’il était définitivement adopté, bien des effets sur l’accès à notre profession et sur l’organisation du stage.

Le projet de loi confirme la possibilité offerte à tout avocat d’exercer sa profession en tant qu’employé d’un autre avocat ou d’un cabinet d’avocats. Si cette disposition n’est pas spécifique à l’avocat stagiaire, il convient de souligner que le ministre a échoué dans sa tentative initiale d’imposer ce statut du stagiaire au patron de stage.

L’article 4 de l’avant-projet entend réformer l’article 428 du code judiciaire ; nul ne pourrait dorénavant porter le titre d’avocat s’il n’est porteur d’une attestation certifiant de sa réussite d’une formation professionnelle préalable.

Cette formation ne doit être confondue ni avec les études universitaires, ni avec l’actuelle formation initiale qui est dispensée dans le cadre de l’école du stage, elle consiste en une formation préalable à la prestation de serment.

Cette formation professionnelle d'avocat serait organisée avant le stage et non plus en même temps, elle durerait probablement six mois et le stage serait raccourci pour passer de trois ans à deux ans et demi.

Enfin, alors que la formation initiale de l’avocat et son contenu relèvent actuellement des ordres locaux, l’avant-projet de loi en son article 11 prévoit le remplacement de l’article 435 du code judiciaire :
« Les obligations du stage sont déterminées par l’ordre des barreaux francophones et germanophone et l’orde van vlaamse balies, chacun en ce qui concerne les barreaux qui en font partie.
L’OBFG et l’OVB organisent chacun en ce qui concerne les barreaux qui en font partie, la formation professionnelle préalable en vue de la formation de l’avocat stagiaire. Le Roi détermine, après l’avis de l’OBFG et de l’OVB, la durée et les conditions minimales de la formation professionnelle préalable ».

Qu’il me soit permis en rédigeant ces quelques lignes d’imaginer un futur programme de formation faisant la part belle à la lutte contre le blanchiment et à la lutte contre la fraude fiscale plutôt qu’à la procédure, au droit des étrangers, au droit de la jeunesse et aux libertés en général, autant de matières qui sont encore trop peu enseignées à l’université…

En marge de l’adoption de cet avant-projet, Avocat.be a relayé auprès des ordres locaux un message ministériel de la manière suivante :
« Par ailleurs, en vue de la deuxième lecture, le ministre de la justice examine la « possibilité d’une rémunération meilleure et plus cohérente des avocats stagiaires et son ancrage juridique pour l’ensemble de la période de stage, avec une attention particulière pour l’avocat stagiaire qui a commencé la troisième année de stage ».
 

Une proposition concrète est demandée à l’OVB et à l’OBFG pour que la rémunération minimale de l’avocat stagiaire soit supérieure au seuil de pauvreté et pour qu’une augmentation de la rémunération minimale du stagiaire soit également envisagée pour la troisième année de stage ».

Les objectifs du ministre sont en apparence louables ; il s’agit d’assurer une formation préalable aux candidats stagiaires avant qu’ils ne soient jetés dans le grand bain et d’assurer aux stagiaires une rémunération digne, soit supérieure au seuil de pauvreté.
Oui…mais.

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En ce qui concerne la formation préalable, je dois cependant regretter qu’il n’accompagne son projet d’aucun moyen. Sur le plan de la communication, son message est le suivant :

« Les barreaux sont en concertation à ce sujet avec les universités et les communautés compétentes en matière d'enseignement ».

Or la vérité est que ces concertations entre les différentes parties sont au point mort, le ministre est en conséquence incapable de préciser quel serait le statut de l’aspirant au stage (lequel n’aurait semble-t-il plus le statut d’étudiant mais ne rentrerait pas non plus dans le cadre d’un autre statut existant), qui assurera le coût de la formation du candidat et quelle structure organisera cette formation.

Il me paraît en conséquence qu’un tel projet reste inapplicable et que s’il devait être voté comme tel, il mènerait à ce que bon nombre d’étudiants, en particulier les moins fortunés, ne doivent se détourner de leur ambition de devenir un jour avocat.

Le ministre de la Justice met malheureusement la charrue avant les bœufs, même si je lui concède évidemment que l’enseignement n’est plus, depuis bien longtemps, une compétence fédérale.

Il me paraît également vain d’espérer que bon nombre de patrons de stage financent la formation préalable de leurs futurs poulains sans que ceux-ci ne s’exercent immédiatement à la pratique de la profession au sein de leurs cabinets ou ne leur fournissent des garanties dont j’estime qu’elles seraient inconciliables avec la nécessaire indépendance d’esprit dont doit jouir le plaideur.

Si la transposition en Belgique de méthodes qui font leurs preuves à l’étranger peut être intéressante, il convient assurément, pour le ministre, de se donner les moyens de sa politique. Un avant-projet de loi n’est pas une déclaration de bonne volonté.

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Rémunérer le stagiaire de manière telle que sa rémunération puisse être supérieure au seuil de pauvreté, je pense que peu d’entre nous oseraient désormais prétendre qu’il ne peut en être question.

Attirons néanmoins l’attention du ministre sur l’arrêt Wouters du 19 février 2022 (affaire C309/99) dans lequel la Cour confirme que l’avocat est une entreprise et précise que les effets restrictifs de la concurrence imposés aux avocats ne peuvent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’exercice correct de sa profession. Son pouvoir d’ingérence reste très limité.

A Liège-Huy, nous pouvons parler sereinement de ce problème dès lors que les minimas de rémunération qui sont imposés aux patrons de stage sont égaux ou supérieurs au seuil de pauvreté qui est actuellement de 1.366 euros par mois pour une personne isolée.

Quant aux taux horaires minimaux, ils sont respectivement de 17,99 €, 21,85 € et 23,87 € selon qu’il s’agit d’un stagiaire de première, seconde ou troisième année. Ces taux sont supérieurs à ceux dont état dans la CCT n° 43 (12,1933 € bruts).

La rémunération du stagiaire n’est toutefois pas étrangère à la question de sa formation.

Il me paraît important de rappeler au ministre que la rémunération du stagiaire est double, elle se paie non seulement en monnaie sonnante et trébuchante à des taux horaires supérieurs à bien des barèmes mais elle se paie également en termes de formation. Le stagiaire doit apprendre à côté de son patron qui veille à l’aiguiller et l’épauler dans les dossiers qu’il lui confie ; le patron paie sa cotisation, soit les assurances du stagiaire et prend en charge son minerval à l’école du stage.

L’image de l’avocat aguerri qui s’engraisse sur les prestations de son stagiaire est, sauf exception regrettable, autant un mythe que ce que la difficulté pour un avocat stagiaire de vivre dignement de la seule rémunération qui lui est payée par son patron est une réalité.

Cette réalité n’est pas spécifique à l’avocat, c’est la réalité de tous les apprentis mais la spécificité de l’avocat « apprenti », c’est qu’il ne bénéficie pas d’un statut spécifique.

Pourtant, est-ce par tradition ou par orgueil, il semble communément admis que l’avocat en formation ne pourrait bénéficier d’un enseignement « subsidié » et devrait percevoir une rémunération plus élevée que celui d’un autre apprenti.
Souhaiter que l’avocat stagiaire perçoive une rémunération supérieure au seuil de pauvreté sonne en ce sens comme une injure à tous les autres entrepreneurs.

Mais, peut-être, notre ministre n’a-t-il pas conscience tout simplement de la réalité qui s’impose à tout jeune entrepreneur, qu’il soit menuisier, informaticien, boucher, plombier, avocat ou médecin ?

Personne ne devrait vivre en dessous du seuil de pauvreté.

Le problème que tente de solutionner notre ministre n’est pas un problème spécifique à l’avocat, c’est une difficulté propre à tout entrepreneur indépendant qui se trouve à l’aube de sa carrière ; il se doit d’investir, de constituer sa clientèle et de fournir des efforts importants qui parfois malheureusement se révèleront infructueux.

Face à ce constat, je ne peux m’empêcher de vous faire part d’éléments « sociaux » qui m’ont toujours interpellé.

Le seuil de pauvreté équivaut à un montant mensuel de 1.366 €, soit 16.392 € par an. Les revenus exonérés d’impôts pour 2023 sont de 10.160 €. Il en résulte que les revenus de tout travailleur sont taxés avant même que ceux-ci n’aient dépassé le seuil de pauvreté !

L’indépendant paiera également des cotisations sociales avant même d’avoir atteint ce même seuil de rémunération.

J’en conclus que ce n’est pas seulement aux jeunes avocats que le ministre et le conseil des ministres doivent s’intéresser mais à tous les jeunes entrepreneurs pour leur donner la volonté d’entreprendre et d’aller de l’avant dans l’exercice de leur métier, quel qu’il soit.

Les jeunes avocats peuvent aussi militer pour un statut spécifique et contre les exclusions aux aides dont les professions libérales sont trop souvent écartées.

Je m’interroge enfin quant à l’accent qui est placé par le ministre sur la rémunération du stagiaire de troisième année alors que le stage ne serait plus que de deux années et demie…

Est-ce là le signe que le souhait politique serait que les avocats rémunèrent les futurs stagiaires au cours de leur formation préalable ?

Quoiqu’il en soit, c’est au cours de cette troisième année que le stagiaire percevra ses premières indemnités dans le cadre de l’aide juridique alors qu’il aura également eu l’occasion à ce moment de développer une petite clientèle personnelle.

Je préfèrerai comme bien d’autres que le ministre poursuive et finalise sa réflexion quant à l’instauration d’un système qui permette aux avocats et donc aux avocats stagiaires de percevoir leur indemnités « BAJ » au fur et à mesure de leurs prestations, solution envisageable depuis l’ouverture de l’enveloppe consacrée au financement de l’aide juridique.

Le jeune avocat aurait alors la possibilité d’augmenter sa rémunération dès le début de l’exercice de sa profession sans avoir à attendre sa troisième année d’exercice et ce, sans avoir à subir les affres d’un taux de taxation plus élevé sur une part importante de ses revenus.

Si le ministre forme le vœu d’une rémunération plus cohérente ; je forme pour ma part le vœu d’une politique sociale et fiscale plus cohérente lorsqu’il est question du « seuil de pauvreté ».

Je forme également le vœu que la formation à la profession d’avocat soit financée comme la formation à bien d’autres professions et que durant le temps de cette formation préalable, les apprentis avocats puissent bénéficier d’un statut d’étudiant.

Nous éviterons ainsi, comme le souhaite le ministre, que de jeunes talents quittent notre profession mais également que de jeunes talents ne l’intègrent pas.

Léon LEDUC

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