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Interview de M. André Tihon
Il est près de midi et demi en cette journée de début de printemps aux airs anormalement radieux. Nous avons donné rendez-vous à André Tihon au Point de Vue, emblématique brasserie liégeoise située à quelques encablures du palais de justice. Une des tables habituelles d’André à qui je viens d’envoyer un message pour l’avertir de mon léger retard. « Je possède un smart phone depuis un mois » annonce-t-il comme pour me prévenir qu’il n’a jamais été un geek et qu’il ne l’a pas encore lu. Je le trouve plongé dans la lecture du dernier roman de Cormac McCarthy. Sans plus attendre nous entamons une conversation.
Eric Therer : J’ai été surpris de te voir devenir avocat honoraire. A vrai dire cela m’a fait l’effet d’une surprise. Tu es encore assez jeune pour travailler, non ?
J’ai accédé à l’honorariat le 1er janvier dernier avec Georges Rigo, André Delvaux et Jean-Luc Lempereur. S’agissant de ce dernier, le hasard veut que l’on ait prêté serment le même jour et que l’on ait arrêté le même jour. Je fais mienne sa considération qui a justifié qu’il arrête : « j’en avais marre de la dictature informatique ! »
Eric Therer : Est-ce là la véritable raison ?
Cette raison s’ajoute à celle qui est que j’avais atteint l’âge de 65 ans, ce qui me semble un bon moment pour lever le pied. Selon moi, l’apogée de la carrière d’un avocat se situe vers ses 45/50 ans. C’est l’âge où les connaissances, les amis avec lesquels il a tissé des liens se trouvent à des postes de commande dans la société. Par ailleurs, la clientèle n’est plus ce qu’elle était. Elle a changé par rapport à l’époque où j’ai débuté au barreau. Les relations sont plus éphémères, moins empreintes de la confiance qui doit guider notre mandat. Enfin, ma secrétaire historique est tombée malade, un burnout avec hospitalisation. Se posait la question d’un éventuel engagement d’une nouvelle secrétaire, ce qui est assez lourd à porter quand on arrive à 65 ans.
Eric Therer : Tu parlais de « dictature informatique », que veux-tu signifier en utilisant ces termes ?
Je n’ai jamais été féru d’informatique, ce n’est un secret pour personne. Je maîtrisais mal l’outil. Comme curateur, je devais utiliser la plate-forme Regsol, certaines fonctions par lesquelles il est obligatoire d’encoder ses prestations ne permettent pas de préciser la façon dont elles sont réellement effectuées… Cet exemple est révélateur, selon moi, du fait que l’on est de moins en moins jugé pour sa maîtrise de la matière juridique, que l’on traite, plutôt sur ses compétences liées à l’utilisation de l’outil informatique. Je suis un homme de papier. Les outils informatiques ne m’ont jamais intéressé. Je lis des livres sur papier et je vois mal me mettre à les lire sur un écran.
Eric Therer : Ce goût des livres n’est pas récent. D’où te vient-il ?
J’ai quitté la bd pour la littérature, très tôt, à 10 ans. J’ai commencé par la lecture de Bob Morane. Je suis passé d’Henri Vernes à Jules Verne. J’ai suivi les humanités en latin/grec. A 14 ans, j’avais lu tout Platon, Marc Aurèle, les historiens de l’antiquité. Après ce furent les classiques : Zola, Stendhal, Balzac, Flaubert, Sand, Proust, Céline… Il y avait chez moi une énorme bibliothèque, celle de mon père, laquelle s’était enrichie de celle de mon grand-père. Vers 17 ans, je me suis lancé dans la lecture intégrale de La Comédie humaine de Balzac, à la mort de ce dernier. A l’université, j’ai découvert Chateaubriand, dont je tiens Les Mémoires d’outre-tombe comme un chef-d’œuvre absolu, et aussi les mémoires de Saint-Simon. A quarante ans, je me suis mis aux classiques russes et américains. Récemment, j’ai entrepris l’œuvre de Cormac McCarthy.
Eric Therer : De nos jours, Céline n’est plus en odeur de sainteté. Des polémiques concernant la réédition de certains de ses livres sont vives…
J’ai tout lu de lui ! J’ai même lu ses pamphlets. Ils ne sont pas en vente libre mais on peut les trouver en vente sur internet. ‘Les beaux draps’, c’est le livre le plus cher de ma bibliothèque. ‘Bagatelles pour un massacre’ m’a coûté un peu moins cher. Je dirais que ces pamphlets, pour être atroces contre les juifs, sont pourtant relativement anodins en ce sens qu’ils ne contiennent pas de discours construit, une argumentation contre les juifs, c’est juste une sorte de délire écrit. Céline injurie en réalité tout le monde, même le pape, tout un chacun y passe. Je dirais d’ailleurs de Céline qu’il a créé un genre littéraire qui est le délire. Et au final cela me parait c’est assez inoffensif, avant tout littéraire.
Eric Therer : Nous sommes rentrés de plain-pied dans une ère où la littérature est de plus en plus contrôlée, policée, sous la coupe d’un nouveau puritanisme de la pensée. Toute tentative d’écrire hors des normes culturellement admises devient vite suspecte de « dérapage », quand elle ne se retrouve pas pénalisée dans certains cas…
A vrai dire, je me sens de plus en plus étranger à la société dans laquelle le lis et je place la liberté d’expression au-dessus de tout, ce qui devient de plus en plus difficile. Il y a cependant des réactions qui s’amorcent. L’écrivain Philippe Forest a très bien décrit ce phénomène dans un essai récent ‘Déconstruire, reconstruire. La querelle du woke’ où il examine le wokisme pour mieux en faire ressortir les effets insupportables et ridicules.
Eric Therer : Que penses-tu de l’écriture inclusive ?
Beaucoup de mal… ! Tout d’abord, un livre ou un article écrit en écriture inclusive s’avère illisible. Ces contraintes entravent la lisibilité. Par ailleurs, je suis contre la soumission de la langue à une idéologie, fût-elle féministe. On voit que l’Etat entend ratifier cette nouvelle façon d’écrire. Des hauts fonctionnaires se mêlent de régir la langue. Or, la langue échappe à la maîtrise de l’Etat. Historiquement, Richelieu a confié à l’Académie française les critères linguistiques.
Eric Therer : Tu as emprunté, au cours de ta carrière, un parcours atypique en entreprenant des études universitaires de philosophie et en les menant jusqu’à leur terme, tout en poursuivant ton métier d’avocat. Qu’est-ce qui t’a poussé à agir de la sorte ?
Ce sont des études qui m’ont toujours intéressé. C’est par le biais de la philosophie grecque que je me suis intéressé à la philosophie. Dans l’enseignement secondaire belge, il n’existe pas de cours de philosophie. Après mes humanités, je n’ai pas souhaité entamer des études de philosophie car cette voie ne m’aurait pas mené bien loin, c’est pour cette raison que « j’ai fait le droit ». Je gardais toujours le regret de ne pas avoir suivi les cours de philosophie. Le moment s’est présenté dans ma vie où j’ai enfin pu les entreprendre.
Open Bar : Et maintenant, que vas-tu faire ?
Je suis à la recherche d’un poste d’enseignant en littérature française ou un histoire mais pas en droit. Je suis toujours juge de paix suppléant auprès du Ier canton de Liège. Je vais lire aussi. Il y a quinze mille œuvres dans ma bibliothèque, j’ai de quoi lire jusqu’à la fin de ma vie. Et je continue à acheter des livres, au moins un chaque semaine.
Eric THERER
C’est tout à fait par hasard…
C’est tout à fait par hasard que je tombe sur cet intéressant entretien avec le très estimable André Tihon. Il me semble que l’open barreau devrait faire un petit effort dans sa propre présentation, afin que d’un coup d’œil on puisse embrasser les titres des articles, leur date et leur auteur.
Quoi qu’il en soit, le présent commentaire n’aurait probablement pas eu lieu si je ne m’étais arrêté à cette curieuse phrase, mise dans la bouche d’André :
“Vers 17 ans, je me suis lancé dans la lecture intégrale de La Comédie humaine de Balzac, à la mort de ce dernier” …
Soit il y a un problème de syntaxe, soit il manque des mots : André Tihon est né plus de 100 ans après la mort de Balzac !
Il existe une autre explication, éventuellement, mais je ne peux y croire : l’auteur de l’article ci-dessus a peut-être cru qu’André parlait de Mike Brant, chanteur israélien, qui, lui, est bien décédé quand André avait 17 ans …
Amicalement, Jari.
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