Une définition vaut mieux qu’une longue plaidoirie

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La pensée vient du langage. Sans nommer les choses, on ne peut pas raisonner. 

En tant qu’avocats, nous savons que la manière de raconter les faits est importante. Les termes utilisés influenceront la perception de notre interlocuteur et sa compréhension de la situation. S’il est besoin d’un exemple, en voici un sous la forme de devinette :  « Un père et son fils ont un grave accident de voiture. Le père meurt. Le fils est entre la vie et la mort. On l'amène aux urgences et le chirurgien qui le voit dit : je ne peux pas l'opérer car c'est mon fils. Comment cela se fait-il ? »

Si la réponse vous vient naturellement, je vous admire pour avoir réussi à déconstruire toutes ces représentations qui nous façonnent. Personnellement, je n’ai pas trouvé la réponse tout de suite. Mais cela m’amène à ce constat : les mots façonnent nos raisonnements et nos représentations. 

Conscients de ce qui précède, plusieurs d’entre nous s’opposent néanmoins à l’utilisation de certains termes. Sans surprise, c’est sur le terme « consœur » que je souhaite m’arrêter.

L’argument en faveur du « confrère pour toutes » que j’entends le plus souvent consiste à dire que le terme ne s’attache pas au genre, mais à la profession elle-même. Il s’agirait d’un usage de la profession. J’étais donc curieuse de découvrir si, finalement, la langue française s’opposait réellement à l’utilisation du penchant féminin de ce terme. C’est ainsi qu’en bonne juriste, j’en suis revenue aux définitions. J’ai ainsi farfouillé dans la bibliothèque de mes parents, à la recherche de dictionnaires anciens et récents, et voici le résultat de mes recherches. 

Ma plus vieille trouvaille date de 1958. Dans le Littré, on peut lire : 

« Consœur (con et sœur 1842 Moz.), n. f. Se dit des femmes associées à une même confrérie, et des religieuses du même couvent ou du même ordre » 

Je suis donc étonnée une première fois. Non seulement, le terme n’est pas inconnu du dictionnaire, mais en plus, le terme consœur est tout à fait propre à désigner une avocate. 

J’avance encore un peu, cette fois jusqu’en 1991. Le Larousse indique purement et simplement : 

« Consœur n.f. Fém. de confrère » 

Je ne peux cacher mon étonnement. Simple, clair, évident. 

Par acquis de conscience, je vérifie la définition du terme « confrère ». On peut lire :

« Confrère n.m. Personne appartenant à une même profession libérale, à une même société littéraire, etc., que d’autres. Le docteur a invité quelques confrères à dîner »

Si mon syllogisme est correct, puisque consœur est le féminin de confrère, alors une femme qui appartient à une même profession libérale que d’autres se nomme une consœur.

J’en arrive pour finir à mes propres dictionnaires. 

Selon le Robert junior illustré : 

« consoeur n.f. Femme qui exerce la même profession qu’une autre personne. Le médecin demande l’avis de sa consœur sur le cas d’un patient. – Si c’est un homme, on dit un confrèreconfrère »

Selon le petit Robert de la langue française :

« consoeur n.f. – 1342 « femme membre d’une confrérie » ; de sœur, d’apr. confrère à sœur* (encadré) – Femme appartenant à une profession libérale, un corps constitué, considérée par rapport aux autres membres (et notamment aux autres femmes) de cette profession. Maitre Jeanne X et ses consœurs du barreau. → Collègue, confrère »  

En conclusion, non seulement le terme existe depuis au moins aussi longtemps que des femmes exercent notre profession, mais le dictionnaire prend notre profession pour exemple. 

L’utilisation du terme n’est donc pas une exigence des féministes, mais bien de la langue française.

Réponse à la devinette : le médecin est la mère du garçon. 

France LAURENT

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