Guerre russo-ukrainienne et espionnage, quelle place pour le droit international des relations diplomatiques ?

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Au-delà des innommables atrocités rencontrées sur le terrain telles que les pertes civiles, déplacements de populations et autres destructions de biens, largement relayés par les médias, la guerre est inévitablement accompagnée de son lot de manœuvres silencieuses, véritables « guerres de l’ombre », dont les acteurs sont des « espions » et le script des « opérations spéciales de renseignement ». 

Le conflit russo-ukrainien ne fait pas exception. 

Les faits examinés dans le cadre de la présente contribution nous sont révélés par l’AFP, relayée par le journal français Le Figaro[1] et font suite à la publication d’un communiqué émanant du « Federalnaya sloujba bezopasnosti Rossiyskoy Federatsii », en abréviation « FSB », soit le Service de renseignement intérieur de la Fédération de Russie. 

Ce communiqué, titré « Un diplomate japonais a été arrêté en flagrant délit alors qu'il recevait des informations confidentielles en échange d'une rétribution » expose que les services de sécurité russes ont, le lundi 26 septembre 2022, arrêté « en flagrant délit » Tatsunori Motoki, diplomate japonais exerçant la fonction de consul général à Vladivostok (Russie), alors que celui-ci recevait « en échange d’une rétribution » des « informations confidentielles sur la coopération » entre Moscou et un pays asiatique dont le nom n’est pas révélé. 

Selon le porte-parole du gouvernement nippon, la Fédération de Russie aurait violé la Convention de Vienne de 1963 « sur les relations consulaires » dès lors que « Le fonctionnaire a eu les yeux bandés, les deux mains et la tête pressées sur le sol, de sorte qu'il ne pouvait pas bouger pendant sa détention, puis il a été interrogé de manière autoritaire ». 

Pour les juristes que nous sommes, et quand bien même le droit international des relations diplomatiques et consulaires ne serait pas notre matière de prédilection, cette affaire ne peut qu’éveiller notre curiosité quant à la protection dont jouit, ou non, un membre du corps diplomatique accusé d’espionnage et, le cas échéant, l’étendue de cette protection en cas de flagrant délit.

En l’occurrence, le siège de la matière est double. Il se trouve à la fois au sein de la Convention de Vienne de 1961 « sur les relations diplomatiques » – rendue applicable en l’espèce à la fonction de consul occupée par monsieur Tasunori Motoki en ce que celui-ci était un diplomate occupant la fonction de consul général[2] – et à la fois au sein de la Convention de Vienne de 1963 « sur les relations consulaires ». 

L’article 41 de la Convention de 1961 consacre le principe de l’« inviolabilité diplomatique ». En vertu de ce principe, la personne de l’agent diplomatique ne peut être soumise à aucune forme d’arrestation ou de détention. L’État accréditaire, soit l’état d’accueil de l’agent – en l’espèce, la Russie – doit traiter tout diplomate avec le respect qui lui est dû, et prendre « toutes mesures appropriées pour empêcher toute atteinte à sa personne, sa liberté et sa dignité ».

Non sans intérêt dans notre cas, notons que tant l’article 9 de la Convention de Vienne de 1961 que l’article 23 de la Convention de Vienne de 1963 disposent que « L’Etat de résidence peut à tout moment informer l’Etat d’envoi qu’un fonctionnaire consulaire est persona non grata ou que tout autre membre du personnel consulaire n’est pas acceptable ».

Cette inviolabilité diplomatique couvre-t-elle également les activités d’espionnage ? Autrement dit, lorsqu’un agent diplomatique adopte un comportement hostile, par la voie de l’espionnage, à l’encontre de l’Etat d’accueil, celui-ci tombe-t-il toujours sous la protection de la Convention de Vienne de 1963 ? 

La Cour Internationale de Justice nous offre la réponse à cette question dans une « affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran » : 

« Les règles du droit diplomatique constituent un régime se suffisant à lui-même qui, d'une part, énonce les obligations de 1'Etat accréditaire en matière de facilités, de privilèges et d'immunités à accorder aux missions diplomatiques et, d'autre part, envisage le mauvais usage que pourraient en faire des membres de la mission et précise les moyens dont dispose 1'Etat accréditaire pour parer à de tels abus. Ces moyens sont par nature d'une efficacité totale car, si 1'Etat accréditant ne rappelle pas sur-le-champ le membre de la mission visé, la perspective de la perte presque immédiate de ses privilèges et immunités, du fait que 1'Etat accréditaire ne le reconnaîtra plus comme membre de la mission, aura en pratique pour résultat de l'obliger, dans son propre intérêt, à partir sans tarder »[3]

La Haute Juridiction nuance cependant son propos et rappelle que : 

« Naturellement l'observation de ce principe ne veut pas dire (…) qu'un agent diplomatique pris en flagrant délit d'agression ou d'autre infraction ne puisse, en certaines circonstances, être brièvement détenu par la police de 1'Etat accréditaire à des fins préventives »[4].

Mais également que : « Les conventions de Vienne de 1961 et de 1963 renferment des dispositions expresses pour le cas où des membres d'une mission diplomatique, sous le couvert des privilèges et immunités diplomatiques, se livrent à des abus de fonctions tels que l'espionnage ou l'immixtion dans les affaires intérieures de l'Etat accréditaire »[5]

Face aux affaires d’espionnage, la Cour préconise ainsi le recours aux articles 9 et 23 précités. 

A la lumière de ces enseignements, que penser de l’attitude adoptée par la Fédération de Russie à l’égard de monsieur Tatsunori Motoki ? 

Selon nous, l’Etat russe disposait de deux solutions. 

Soit l’agent diplomatique nippon a effectivement été pris en flagrant délit d’espionnage. Alors, celui-ci pouvait faire l’objet d’une arrestation préventive, d’une durée brève, et pour autant que la Russie le fasse dans le respect dû à l’agent et en ayant pris « toutes mesures appropriées pour empêcher toute atteinte à sa personne, sa liberté et sa dignité ». En l’espèce, au vu des conditions de ladite arrestation, telles que décrites par le porte-parole de l’Etat japonais, et si celles-ci sont exactes, il ne nous semble pas que ces prescriptions aient été rencontrées. 

Soit l’agent diplomatique n’avait pas été pris dans un cas de flagrant délit. Dans ce cas, sa personne demeurait inviolable et il ne pouvait faire l’objet d’une arrestation et, a fortiori, d’une détention, fût-elle préventive. L’Etat russe n’avait d’autre choix que de déclarer monsieur Tatsunori Motoki comme étant persona non grata, afin de forcer le retour de celui-ci en terres nippones. 

En conclusion, comme tente de le démontrer la présente contribution, le droit international des relations diplomatiques est plus que jamais d’actualité et ne manque pas d’outils afin de résoudre de manière pacifique tout différend qui surviendrait entre Etats.

Yannick Fadeur

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[1] « La Russie annonce avoir interpellé un haut diplomate japonais pour ‘espionnage’, Tokyo exige des excuses », Figaro International, publié le 26 septembre 2022 et disponible sur www.lefigaro.fr/international.

[2] Nicolas ANGELET, « A propos de la ‘fin des consulats ?’ de Renaat Venneman (1965-I) : l’évolution de la fonction consulaire », R.B.D.I., 2015/1-2, Bruxelles, Bruylant, p. 69. Voy. ég. l’article 3.2., de Convention de Vienne de 1961 « sur les relations diplomatiques » et articles 3 et 70 de la Convention de Vienne de 1963 « sur les relations consulaires ». 

[3] Cour internationale de Justice, arrêt du 24 mai 1980, « affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran », Etats-Unis d’Amérique c. Iran, Recueil, 1980, §86, p. 40.

[4] Ibid., in fine.

[5] Ibid., §84, p. 39.

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