La rentrée de janvier 2022

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Après la rentrée littéraire de septembre, dont le faîte est l’attribution des prix en novembre, le mois de janvier connaît également une grande activité.

Nous évoquerons ci-dessous trois livres dont on a beaucoup parlé et que nombre d’entre vous ont sans doute lus : Anéantir, de Michel Houellebecq, Un barrage contre l’Atlantique, de Frédéric Beigbeder (d’un point de vue strictement littéraire, le meilleur selon nous) et Le Grand Monde, de Pierre Lemaitre.

Comme nous l’avons déjà écrit dans ces colonnes, nous considérons Michel Houellebecq  comme un moraliste, autrement dit un écrivain qui décrit les moeurs de son temps, au même titre que La Bruyère, Balzac, Zola…Ainsi, « il y a en général des brasseries ouvertes tard la nuit, près des grandes gares, qui proposent des plats de tradition à des voyageurs solitaires, sans jamais réellement parvenir à les convaincre qu’ils ont encore leur place dans un monde accessible, humain, marqué par la cuisine  familiale et les plats de tradition » (p. 42) ; « Est-il vrai qu’on ne change pas, même physiquement pour des yeux aimants, que des yeux aimants sont capables d’annihiler les conditions normales de la perception ? Est-il vrai que la première image qu’on a laissée dans les yeux de l’aimée se superpose toujours, éternellement, à ce qu’on est devenu ? » (p.136) ; « La vraie raison de l’euthanasie, en réalité, c’est que nous ne supportons plus les vieux, nous ne voulons même pas savoir qu’ils existent, c’est pour ça que nous les parquons dans des endroits spécialisés, hors de la vue des autres humains » (p.452) ; « C’était d’abord la maladie en général qui était devenue obscène (…). Quant à la mort elle était l’indécence suprême, on convint vite de la dissimuler autant que possible. Les cérémonies funéraires se raccourcirent- l’innovation technique de l’incinération permit d’accélérer sensiblement les procédures » (p.655).

Le livre est animé par deux intrigues, dont l’une n’est pas close lorsque s’achève la lecture : un polar, le récit d’attentats commis par des activistes de l’anarcho-primitivisme, des gens qui « prônent l’extinction de l’humanité parce qu’ils pensent que l’espèce humaine est (…) dangereuse pour la survie de la planète » (p.376 et 377), et l’autre la description du déclin d’un personnage atteint d’un cancer (on relèvera que l’auteur, qui a beau mépriser et même haïr sa génération et son époque, lui appartient, qu’il le veuille ou non  (p.675), et ne raconte pas davantage la mort de son héros ; Virginia Woolf appelait cette tendance l’air du temps).

L’homme politique qui semble jouir de la faveur de Michel Houellebecq est Bruno Le Maire, modèle évident du ministre de l’Economie et des Finances, dans le roman Bruno Juge. Emmanuel Macron apparaît, sous le regard bienveillant de l’auteur. Aussi un grand hebdomadaire français a-t-il écrit que l’imaginaire de l’œuvre était « incontestablement d’extrême- droite » (Bruno Le Maire ? Macron ?) et que le roman était, de tous, le plus politisé et le plus raté (ce qui sous-entend qu’ils sont tous ratés…) de Houellebecq. Il est vrai que, fidèle à ses principes, il note qu’il faut, dans un Etat, une religion dominante ; « de larges licences de culte pouvaient être accordées aux religions subalternes, sous réserve de ne jamais leur permettre d’oublier qu’elles étaient tout au plus tolérées sur le territoire du pays, et que cette tolérance demeurait à la discrétion du souverain (p.604) (on devine ce que sont  pour lui cette religion dominante en France et les (la ?) religions subalternes).

Contrairement à ce qui est indiqué sur la couverture, le livre de Frédéric Beigbeder n’est pas un roman mais un récit, une rêverie écrite pour la plus grande part au Cap Ferret durant le « confinement », ce qui nous vaut quelques belles réflexions : « Une société qui interdit aux gens de se serrer la main ou de s’embrasser mérite sa disparition » (p. 34). « George Orwell s’est trompé : on était libres en 1984. C’est maintenant qu’on ne l’est plus. » (p.73). Citons, dans la même ligne, un passage de son avant-dernier livre : « Finalement, la fermeture des librairies, des théâtres, des cinémas et des discothèques ne fut pas un hasard : par un glissement somme toute logique, la bienveillance sanitaire devenue bien-pensance sécuritaire  aboutit à la haine de la liberté de se rassembler, de se serrer la main  et de danser, mais aussi de débattre et de réfléchir (…), il ne fallait pas de discussion, pas de culture, pas d’intelligence, uniquement de la discipline. Quand il s’agit de sauver des vies, on n’a plus le luxe de douter (…). Même les restaurants sont des endroits de conversation : à proscrire, donc. L’hygiénisme n’est pas un humanisme » (p.24) (Bibliothèque de survie – Editions de l’Observatoire).

L’ouvrage pourrait s’intituler : Aphorismes et apophtegmes ; chacun est séparé des autres par un blanc, Frédéric  Beigbeder inaugurant, compte tenu de l’époque, le procédé de la « distanciation littéraire » (p.14). Outre de telles réflexions, l‘auteur nous livre des miscellanées autobiographiques sur ses parents, son frère…On apprend ainsi qu’il a entretenu voici un peu plus de quinze ans une relation intime avec Laura Smet.

Pour terminer, deux beaux aphorismes : « écrire, c’est choisir délibérément de passer à côté de la vie pour la conserver dans un tiroir » (p.119) ; « finalement le retour du puritanisme n’est pas une mauvaise nouvelle pour les épicuriens  qui ont besoin d’interdits à transgresser» (p.167).

Le nouveau roman de Pierre Lemaitre est un polar se passant principalement en Indochine, à l’époque française (1948) : « la colonisation française passait pour plutôt débonnaire et avait même pris les apparences, parfois, d’un illusoire âge d’or dans la nostalgie duquel chacun pouvait communier à son aise » (Ph. Forest, Théâtre d’ombres, 2022, p.14).

Si le livre de Frédéric Beigbeder est, comme nous l’avons écrit ci-dessus, le plus « littéraire » , d’un style classique et plein d’humour, celui de Pierre Lemaitre est le plus passionnant à lire : intrigue à tiroirs, personnages bien typés, dimension sociologique de par l’époque (1948) et les lieux (Beyrouth, Paris et l’Indochine française).

Nous n’en dirons pas plus pour ménager l’intérêt du lecteur ; notons simplement que l’action met en évidence le rôle de la presse dans la société : il n’y a de vérité que révélée par ce qu’en écrivent les journaux (le lecteur comprendra).

Comme dans le livre de Michel Houellebecq, une des intrigues n’est pas close à la fin mais on peut penser qu’elle sera poursuivie dans le deuxième roman du cycle.

Signalons enfin l’excellent Vider les lieux, d’Olivier Rolin, grand écrivain dont les romans ont, à deux reprises, « flirté » avec le Prix Goncourt, paru au mois de mars aux éditions Gallimard (collection blanche).

L’auteur, contraint de déménager, y raconte l’empaquetage des livres de sa bibliothèque, l’occasion de songeries délicieuses pour les … bibliomanes.

André TIHON

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