Poésie musicale et droits humains : Instantanés de mars 2021

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En 1858, Eugène Henriot, conseiller à la Cour impériale de Paris et ancien Procureur général, publiait un ouvrage intitulé « Les poètes juristes - remarques des poètes latins sur les lois, le droit civil, le droit criminel, la justice distributive et le barreau », commentant à l’aide de mille illustrations la manière dont les poètes de l’antiquité étaient si bien éduqués à la science juridique que leurs vers nous renseignent encore aujourd’hui sur l’administration de la justice et les lois de l’époque. Il oppose les anciens aux « modernes », chez lesquels « le développement des connaissances humaines a dû avoir pour conséquence de rendre plus difficile l’érudition encyclopédique à laquelle prétendaient les savants de l’antiquité, et d’amener ainsi les hommes d’étude à se renfermer, à peu près exclusivement, chacun dans la spécialité dont il voulait faire profession ».

Ainsi, il constate qu’à son époque « on voit encore, il est vrai, des juristes littéraires ; mais il ne se voit plus guère de littérateurs juristes. En un mot, droit et littérature, et surtout poésie et droit, sont choses dont on admet plus la compatibilité ».

Une nuance tout de même : les liens entre la poésie et les droits humains. Les musicien(ne)s et parolier(e)s ont été de toutes les luttes : l’abolition de l’esclavage ou de la peine de mort, les droits civiques, la justice sociale, la paix, l’éradication de la pauvreté, le droit d’asile et d’immigration, l’environnement… pas un seul combat en faveur des droits humains n’est accompagné de protest songs. Peut-être en raison de la vocation universelle des droits mobilisés, de leur popularité[1], de leur caractère à ce point essentiel qu’ils inspirent, émeuvent, passionnent et rassemblent... ?

Chants et luttes, chants de lutte : instantanés de mars 2021.  

 

8 mars 2021 : journée internationale des droits des femmes.

En septembre 2020, les expert(e)s du GREVIO ont rendu leur rapport sur la manière dont la Belgique met en œuvre la Convention d'Istanbul, adoptée par le Conseil de l’Europe pour la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Selon le GREVIO, en Belgique, 82% des violences sexuelles ne sont pas rapportées à la police, 98% des femmes ont été au moins une fois victimes de harcèlement de rue, tandis que 50% des plaintes pour viol sont classées sans suite.

Ce mois de mars 2021, c’est celui où le 8ème « féminicide » [2] de l’année a été commis en Belgique et aussi celui où Orlane Graindorge a été torturée avec un couteau à pain dans le but de la dissuader de créer une association d’aide aux personnes victimes de viol.

La colère des femmes du 21ème siècle est fondée. Du Chili au seuil du Conseil du contentieux des étrangers, l’hymne féministe Le Violeur C’est Toi dénonce le caractère structurel des violences sexistes.

Las Tesis (et autres) – El Violador Eres Tu !

 

10 mars 2021 : We Are Belgium Too (régularisation des sans-papiers).

En ce début de mois de mars, une centaine d’associations belges soutient la campagne « We Are Belgium Too », la lettre ouverte que des sans-papiers adressent à leur voisins et voisines. De quoi s’agit-il ?

Environ 150.000 personnes vivent en Belgique sans documents de séjour. Elles font pourtant partie de la population. Nous les saluons tous les jours : l’épicier du coin, le camarade de classe de notre enfant, la personne qui fait l’entretien des locaux, l’étudiante qui demande un stage, … elles travaillent, payent un loyer, trient leurs déchets. Sans existence légalement digne, sans liberté, sans sécurité.

Elles nous invitent à récolter 150.000 signatures pour le respect de leurs droits humains, pour l’adoption de critères objectifs de régularisation, pour l’arrêt de la criminalisation des sans-papiers et la suppression des centres fermés.

Signons la pétition, en écoutant l’une des dizaines de chansons sur le thème de la migration, ou simplement celle des Bérurier Noir qui appellent en peu de mots à contempler la simplicité de l’accueil, l’infinité de la diversité et la puissance de la fraternité.

Berurier Noir – Salut à toi

 

16 mars 2021 : plaidoiries de l’affaire climat

Vous saviez qu’une association sans but lucratif, 58.586 citoyen(ne)s et 82 arbres classés sont actuellement en procès contre l’Etat belge dans l’affaire climat ? Elles et ils réclament la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 42 à 48 % en 2025 et d’au moins 55 à 65 % en 2030 (par rapport aux émissions de 1990) parce que le réchauffement de plus de 1,5 °C modélisé en l’absence de ces mesures représente une menace sérieuse pour nos droits fondamentaux.

Le 14 mars 2021, des mobilisations ont eu lieu dans de nombreuses villes de Belgique à l’annonce des audiences du 16 au 26 mars devant le Tribunal de Première Instance de Bruxelles (francophone), les citoyen(ne)s revendiquant être tou(te)s des avocat(e)s pour le climat. Jugement prévu pour l’été.

Au Barreau de Liège-Huy, la commission environnement réunit le monde judiciaire, académique et associatif, pour sensibiliser et former aux enjeux environnementaux. Dédions les vers suivants à sa présidente et aux dynamiques collectives des humain(e)s de tous horizons (et de quelques arbres classés parmi elles et eux…) qui s’unissent pour lutter et transformer le monde.

We can turn the world around
We can turn the earth's revolution
We have the power
People have the power
The power to dream, to rule
To wrestle the world from fools

Patti Smith & Choir Choir Choir – People have the Power

 

18 mars 2021 : les 150 ans de la commune de Paris, les 135 ans de la révolte sociale de 1886.

Les 150 ans de la Commune de Paris et les 135 ans de la révolte sociale en Belgique sont célébrés par une série d’événements organisés par le collectif Vive la Commune Vive la Sociale, pendant les 71 prochains jours.

Ce 18 mars 2021, une plaque commémorative a été inaugurée sur la façade du numéro 27 de la Place Delcour, à Liège, où se situait l’ancien Café National, lieu du meeting orchestré par le « groupe anarchiste de Liège », 135 ans plus tôt. Des milliers d’ouvrières et d’ouvriers avaient répondu à l’appel, par la révolte et des émeutes, sévèrement réprimées. Et naquirent les premières législations sociales en Belgique…

Le 11 mars 2021, les manifestant(e)s du secteur de l’Horeca, de Still Standing for Culture, de Black Lives Matter et d’autres colères fleurissaient entre les pavés de Liège, qu’elles et ils battaient de long en large ou lançaient dans la mare ou sur l’autorité. Elles et ils revendiquent des droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques. Révoltes, émeutes. Avez-vous entendu le slogan « casseurs du passé, glorifiés - casseurs du présent, méchant-méchant » ?

Victor Hugo, inspiré par la répression des communard(e)s, avait écrit en 1872 le poème « A ceux qu’on foule aux pieds ». Lorsque Le Larron chante le texte à sa façon, il est difficile de ne pas penser aux révolté(e)s d’aujourd’hui, aux gilets jaunes, aux exilé(e)s, aux syndicalistes, aux grévistes, aux manifestant(e)s de samedi dernier et à toutes celles et tous ceux qu’encore on foule aux pieds…

Le Larron – Le Labyrinthe

 

19/20 mars 2021 : l’Etat de droit, j’y crois !

Le 20 mars 2015, le Président de la Cour de cassation belge avait exhorté un millier d’avocat(e)s et de magistrat(e)s : « La Justice en appelle à la Nation ». Cinq ans plus tard, le 20 mars 2020, Avocats.be obtenait la condamnation de l’Etat belge pour le sous-financement illégal de la Justice !

Cette année, la manifestation de la plate-forme l’Etat de droit, j’y crois s’est tenue virtuellement, avec Françoise Tulkens, vice-présidente honoraire de la Cour européenne des droits de l'homme, et Koen Lenaerts, président de la Cour de Justice de l'Union européenne, en guest stars du véritable film d’horreur dans lequel avocat(e)s, greffier(e)s et magistrat(e)s dénoncent leurs conditions de travail, les conséquences sur la qualité des services rendus aux citoyen(ne)s, les obstacles à l’accessibilité de la Justice, l’informatisation inexistante, et bien d’autres atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire.

L’Etat de droit, j’y crois… sauf quelques cauchemars récurrents d’anticipation d’une prochaine édition de la manifestation où l’articles 6 de la Nouvelle Déclaration Universelle des Droits de l’Homme-Sandwich (NDUDHS) aura depuis longtemps force de loi : « Toute société dans laquelle la garantie des droits fondamentaux n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, est appelée société par action et peut être cotée en bourse ».

Les Malpolis – Les droits de l’homme sandwich

 

21 mars 2021 : journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale

Le 18 mars 2020, la Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe, publiait son rapport sur la manière dont la Belgique lutte contre le racisme, la discrimination, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance. L’ECRI regrettait notamment l’arrêt des formations de la police par UNIA et se dit préoccupée par les informations de cas de profilage racial, dans le cadre de la lutte contre l’immigration illégale. Parmi les signalements de violences policières reçus par Police Watch durant le premier confinement, 40% émanent de personnes racisées.

Quelques mois plus tard, le mouvement Black Lives Matter s’intensifiait partout dans le monde, sans exception pour la Belgique, mise face à son passé colonial et à ses traditions ou patrimoines racistes. Regrets du Roi, mise sur pied d’une commission spéciale, débats vifs – et maintenant la justice ?

C’est le pari du colloque JUSTICE NOW organisé du 22 au 26 mars 2021 par Amah Edoh (professeure au service d’anthropologie du MIT), Avocats Sans Frontières (ASF) et le European Network Against Racism (ENAR) : réunir des universitaires, activistes, décideurs politiques d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Afrique pour comprendre les mouvements actuels de demandes de justice relatives au passé colonial de l’Europe en Afrique.

Place à Kerry James et à sa glaçante Lettre à la République.

 Sibylle Gioe


[2] Lire la note de la Ligue des droits humains pour l’usage du terme « féminicide » et contre sa pénalisation ;

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