Le barreau « en marche »

Interview
Bâtonnier

Interview de Monsieur le Bâtonnier Bernard Ceulemans réalisée le 10 juin 2020.

 

  • Pierre Bayard (PB) : Lors de votre entrée en fonction, en septembre 2019, quels étaient les axes principaux et objectifs que vous aviez définis pour ces deux années de bâtonnat ? Quel est l’état d’avancement de ces projets ? Un de ceux-ci vous tient-il spécialement à cœur ?

Monsieur le Bâtonnier Ceulemans (BC) : On est Bâtonnier parce que l’on veut faire quelque chose mais aussi parce qu’il y a quelque chose à faire.

Regardons la situation de manière lucide… la profession est en pleine mutation. Nous voici déjà dans la révolution numérique avec son cortège de justice prédictive, intelligence artificielle, legaltechs, bigdata, blockchain.

Notre profession et tous nos cabinets n’échapperont pas à ce phénomène général qui nécessite de repenser en profondeur l’offre de nos services.

Telle la dinde inductiviste de Bertrand Russell, nous pensons encore que, si nous continuons à avoir des clients et même si nous sommes conscients qu’il y en a moins, que les contacts sont plus difficiles et qu’il devient plus ardu de nous faire payer, les choses peuvent rester inchangées. Je peux le comprendre, tout changement est inquiétant, nous savons ce que nous perdons mais ne comprenons pas ce que nous gagnerons.

Nous n’avons pas le choix ; évoluer nécessite de tous une remise en question régulière de nos modes de fonctionnement.

« Vous me demandez l’état d’avancement de mes projets et lequel me tient spécialement à cœur ?
Un de mes plus vifs souhaits est de mettre en œuvre les meilleurs moyens pour que les confrères puissent tirer davantage profit des progrès technologiques dans l’exercice de leur profession. »

La crise que nous traversons actuellement, en a été un exemple et un révélateur ; elle nous a contraints à utiliser les nouvelles technologies en les apprivoisant et/ou en les découvrant ; qui aurait pu croire au début de cette année civile que la plupart de nos réunions allaient se tenir en visioconférence au cours de ce 2ème trimestre ? Qui aurait pu prédire que nous allions déposer, au cours de ce même trimestre, nos conclusions, requêtes, dossier de pièces presqu’exclusivement par la voie digitale via notamment la DPA ? Qui aurait pu imaginer que certaines audiences allaient se tenir par visioconférence aussi ? Qui aurait pu concevoir que les dossiers « papier » en vue de la comparution devant la chambre des mises en accusation ne seraient plus consultables tant pour les magistrats que pour les avocats ?

Non, tout n’était pas parfait. Mais en tout cas, nous avons pu continuer à travailler. Nous allons maintenant, après ce coup d’accélérateur, nous attacher à améliorer l’outil.

Vous me demandez l’état d’avancement de mes projets et lequel me tient spécialement à cœur ?

Un de mes plus vifs souhaits est de mettre en œuvre les meilleurs moyens pour que les confrères puissent tirer davantage profit des progrès technologiques dans l’exercice de leur profession.

A la fin de l’année 2019, j’ai réinstauré les carrefours d’information mais en leur donnant un thème bien précis : l’informatique et notre quotidien. Nous avons notamment abordé les questions relatives aux services informatiques mis en place par Avocats.be (DPA, Regsol, Jbox…), les questions qui touchent aux services informatiques au sein des cabinets d’avocats, ainsi que celles qui visent le flux des données électroniques.

A la suite de ces carrefours, dont les thèmes sensibilisaient manifestement les avocats, leur participation en nombre en témoigne, des activités spécifiques étaient programmées. Elles ne sont que reportées à la fin du déconfinement.

Début juillet est prévue une formation sur la visibilité des cabinets sur le web (site, curation de contenu…) ; l’activité visant à sensibiliser au legal design et au langage clair sera aussi prochainement reprogrammée.

Si les conditions sanitaires le permettent, nous organiserons au cours du dernier trimestre de cette année un atelier sur la numérisation des cabinets, un autre consacré aux cabinets sans papier et un troisième traitant des flux électroniques au sein du cabinet.

J’espère que l’engouement des avocats pour cette adaptation aux nouvelles technologies ne va pas disparaître avec le virus mais je crois au contraire que si la période que nous venons de traverser a été difficile, très difficile, elle nous a permis de repenser nos cabinets et avancer dans les évolutions technologiques.

Quand je dis que la profession est en pleine mutation, je pense aussi qu’il faut se professionnaliser davantage, se spécialiser, s’ouvrir vers les différents modes alternatifs de règlement des conflits pour être préparé et répondre adéquatement aux réformes qui se succèdent à très grande vitesse… Voyez par exemple la proposition de loi portant des dispositions diverses en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 déposée le 22 avril 2020, la proposition de loi déposée le 20 mai dernier visant la réforme de la procédure pénale, laquelle tend notamment à la suppression de la cour d’assises et à la transformation du rôle du juge d’instruction… Il faut également tenir compte de l’avancée inéluctable de nos concurrents naturels que sont les autres professions du droit.

 

  • PB : Vous aviez aussi un autre projet, celui du rapprochement des barreaux ; avez-vous pu avancer dans ce sens, notamment avec le barreau de Huy ?

BC : Dès le début de mon bâtonnat, ce n’était un secret pour personne, j’ai poursuivi les démarches pour le rapprochement de notre barreau avec celui de Huy. Je reste convaincu que le regroupement des ordres est une nécessité, un des socles d’une réforme en profondeur des structures. Les barreaux doivent parler d’une seule voix pour assurer notamment la défense des valeurs de notre profession et l’accès à la justice, pour œuvrer au maintien de la plaidoirie et à la mobilité des magistrats, pour se professionnaliser encore davantage ; à défaut, nous deviendrons les parents pauvres des professions juridiques.

 

« Les discussions avec le barreau de Huy se poursuivent évidemment »

Nous avons avancé dans ce projet et lors de la crise pandémique, les barreaux de Liège et de Huy ont mené des actions communes afin de pouvoir gérer au mieux la situation inédite que nous vivons et ce, exclusivement dans l’intérêt de la profession et des confrères. Je pense notamment à l’accès gratuit aux bases de données juridiques, aux mesures sanitaires prises pour la poursuite des activités des BAJ, à l’aide proposée aux jeunes parents avocats, à l’action de solidarité apportée au monde médical, aux nombreux échanges avec les chefs de corps et la diffusion des ordonnances. Ces mesures prises de concert entre les barreaux de Liège et de Huy démontrent que c’est en unissant nos forces que nous pourrons être plus forts dans l’intérêt de tous. Les discussions avec le barreau de Huy se poursuivent évidemment actuellement même si certains rendez-vous ont dû être reportés. Une assemblée générale consultative sur le rapprochement a eu lieu à Huy le 6 mars dernier. Un vote en assemblée générale extraordinaire et en présentiel n’étant toujours pas permis, le barreau de Huy a décidé d’organiser un vote « papier » entre le 19 et le 26 juin 2020 afin de se prononcer sur cette question. Si ce projet se concrétise, l’étape suivante sera de constituer un conseil de l’Ordre commun. A cet égard, le conseil de l’Ordre de Liège a décidé de reporter les élections de l’Ordre à la fin août, voire début septembre prochain pour tenir compte à la fois des discussions en cours avec le barreau de Huy et de la possibilité de tenir une assemblée générale de l’Ordre en présentiel.

 

  • PB : Et quelles sont vos relations avec le barreau de Verviers ?

BC : Le bâtonnier du barreau de Verviers a fait savoir le 8 avril 2019 qu’il ne souhaitait pas poursuivre les discussions relatives à un rapprochement des barreaux au niveau provincial en insistant sur le fait qu’il s’agissait simplement d’un souhait démocratique de poursuivre l’exercice de la profession d’avocat au sein d’un « petit barreau » pour reprendre expressément ses termes. Je respecte ce choix et laisse la porte évidemment ouverte si le barreau de Verviers souhaite revoir sa position et reprendre les discussions.

 

  • PB : Le Barreau continue son évolution année après année. On a vu apparaître en novembre dernier la commission « environnement ». Le Barreau doit-il évoluer ponctuellement et par petite touche ou bien doit-il se réinventer de manière plus fondamentale ?

BC : Réinventer, revisiter, back to the future, c’est vague, je préfère mettre du concret dans ces expressions.

Pour moi, le Barreau, c’est-à-dire ses membres, son Ordre, ses Commissions, doivent sans cesse se remettre en question pour s’adapter au mieux aux exigences de leur temps.

 Je suis heureux qu’une commission « environnement » ait été mise en place au sein du barreau de Liège. C’est une initiative inédite au niveau des barreaux. Nous devons adapter nos comportements aux enjeux climatiques (paperless, mobilité…). Le succès du colloque de la rentrée 2019 « Une justice pour le climat ? Right(s) now ! », et les formations qui ont eu lieu par visioconférence les 7 et 15 mai dernier attestent du grand intérêt que portent les avocats de notre barreau pour la défense du climat. J’encourage nos confrères à s’inscrire, dès que cela sera possible, à l’atelier pratique « Passez facilement et concrètement votre cabinet au paperless » organisé par les commissions de l’innovation et de l’environnement.

« Réinventer, revisiter, back to the future, c’est vague, je préfère mettre du concret dans ces expressions. »

Certains cabinets ont entamé des analyses « bilan carbone » de leur entité. Je salue ces initiatives destinées à diminuer la pollution de la gestion des cabinets, tant en ce qui concerne les déplacements que l’utilisation des outils trop polluants. Le monde ne s’est pas fait en un jour, il ne faut pas qu’il s’étouffe en quelques années. Au centre des familles et des autres professions également, des études et surtout des actions sont en marche.

Par ailleurs, comme vous le savez, la rentrée de la Conférence libre du Jeune Barreau a été déplacée au vendredi 26 février 2021. Le colloque de l’Ordre portera sur la question de la place de la femme dans la société, le barreau et les cabinets. Dans le même temps, il est plus que probable qu’une nouvelle commission naîtra… Commission du genre ? J’estime qu’il est plus que temps qu’une réflexion en profondeur s’instaure : dans les 10 premières années de l’exercice de la profession, les femmes sont très largement majoritaires et puis, au fil des années, cette tendance s’inverse totalement. Quelle est la place que le barreau, tel qu’il est actuellement organisé, offre aux femmes ?

Il me semble que c’est également à ce niveau que le barreau doit évoluer et démontrer sa capacité d’adaptation au monde actuel et à la place de chacun de ses acteurs.

 

  • PB : Beaucoup d’avocats reçoivent l’avis de paiement des cotisations avec un sentiment amer ou une incompréhension sur le montant réclamé malgré les données très concrètes qui sont fournies pour expliquer les chiffres et le budget. Existe-t-il une incompréhension réelle entre le travail accompli par l’Ordre et les avocats qui bénéficient de ce travail et participent à son financement ?  Le budget de l’Ordre et le Budget d’AVOCATS.BE permettent-ils d’avoir une politique ambitieuse et permettent-ils la défense des intérêts des avocats ?

BC : La question des cotisations à l’Ordre est toujours un sujet qui préoccupe les confrères et je le comprends parfaitement.

Faisons un peu de math ; il y a lieu de bien distinguer dans le coût total de la cotisation le montant correspondant à la cotisation primaire de celui de la cotisation secondaire.

Pour rappel, le règlement du barreau de Liège prévoit que la cotisation primaire couvre l’ensemble des charges que l’Ordre supporte pour le compte de ses membres (assurances indélicatesse, responsabilité professionnelle, revenu garanti, soins de santé, conducteur et fonds de solidarité ainsi que les cotisations d’Avocats.be).

La cotisation secondaire couvre les coûts des services que l’Ordre offre à ses membres et le coût des missions qui lui sont confiées par la loi.

« Le conseil de l’Ordre maintient plus que jamais le principe de la solidarité. Le montant de la cotisation secondaire est fixé en fonction des revenus de l’avocat. »

Le conseil de l’Ordre maintient plus que jamais le principe de la solidarité. Le montant de la cotisation secondaire est fixé en fonction des revenus de l’avocat. Le barreau de Liège se distingue sur ce point de la plupart des barreaux qui appliquent soit un taux unique, soit un taux fixé en fonction de l’âge. En 2020, les montants de la cotisation secondaire sont identiques à ceux de l’année dernière. Dès lors, le montant global de la cotisation générale n’a augmenté que très légèrement (50 € pour les avocats de moins de 65 ans et 70 € pour les avocats de plus de 65 ans) par rapport à l’année passée. Cette augmentation s’explique par l’indexation de certaines primes d’assurance et une très légère augmentation de la cotisation d’Avocats.be. Ce principe de la solidarité se traduit très clairement dans les chiffres : 55% des avocats paient pour la cotisation secondaire au maximum un montant équivalent à 55% du coût moyen de celle-ci. Si l’on convertit le coût moyen de la cotisation secondaire en un tarif journalier, cela signifie que chaque avocat du barreau de Liège finance à concurrence de 1,44 € par jour, totalement déductibles, les services de l’Ordre. Je laisse le soin à chacun d’apprécier si ce montant est excessif dans la conjoncture actuelle en ayant à l’esprit que l’Ordre est tenu de remplir les missions qui lui sont confiées par le code judiciaire. L’Ordre tend au quotidien à défendre la profession et rend journellement des services multiples aux confrères. Il faut aussi rappeler que le bénévolat s’estompe au fil des années.

 

  • PB : La cotisation Avocats.be, une utilité réelle ?

BC :Je pense que tant les structures de l’Ordre que celles d’Avocats.be accomplissent un travail considérable pour la défense de notre profession et ce, avec des moyens limités par rapport à d’autres professions du droit.  Je profite de cette occasion pour rappeler que Avocats.be et l’OVB, durant la pandémie notamment, ont communiqué ensemble vis-à-vis des autorités fédérales. C’est essentiel si la profession souhaite être entendue.

Comme je vous l’ai dit, nous devons nous professionnaliser davantage et explorer les nouveaux marchés mais cela engendre des coûts supplémentaires. Un exemple : l’intelligence artificielle… personne ne peut affirmer avec force que celle-ci n’impactera pas notre profession. Elle progresse dans tous les secteurs d’activités. Quel est le budget consacré à ce poste à l’heure actuelle par Avocats.be et l’Ordre ? Zéro euro… Or, Avocats.be et l’Ordre sont préoccupés par ce nouvel enjeu mais ont aussi à l’esprit qu’il faut limiter les coûts… Il faut donc procéder à des arbitrages.

« Avocats.be n’est pas une institution de parade de la profession »

Avocats.be n’est pas une institution de parade de la profession et je regrette qu’elle puisse avoir cette image auprès de certains. Laissez-moi vous citer quelques exemples très récents et moins connus de son activité dans la défense de notre profession. Avocats.be introduit régulièrement avec succès des recours en vue de défendre nos intérêts. Par un jugement du 11 mars 2020, le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles a dit pour droit que le nouveau produit d’assurance protection juridique de la sa Arag violait le principe du libre choix de l’avocat et, partant, était contraire aux pratiques honnêtes du marché ; autre exemple : par un jugement du 13 mars 2020, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a donné raison à Avocats.be. Il a condamné l’Etat à publier dans un délai de trois mois l’ensemble des places de magistrats et de personnel des greffes vacantes à la date du 17 janvier 2020 et prévisible dans les 10 mois, sous peine d’une astreinte de 1000 € par jour et par place inoccupée dont la vacance n’aurait pas été publiée dans ce délai, avec un maximum de 250.000 €. Un autre exemple : en réponse à un recours en annulation introduit par Avocats.be et l’OVB, de la loi du 9 avril 2017 visant à garantir le libre choix d’un avocat pour défendre les intérêts de l’assuré dans toute phase judiciaire, dans le cadre d’un contrat d’assurance protection juridique et à la suite d’une question préjudicielle posée par la Cour Constitutionnelle, la Cour de justice de l’Union européenne a répondu, par un arrêt du 14 mai 2020, positivement à cette question en considérant que la notion de « procédure judiciaire » ne peut être limitée aux procédures se déroulant devant une juridiction proprement dite, ni en opérant une différenciation entre la phase préparatoire et la phase décisionnelle d’une telle procédure.

Ainsi, toute phase, même préliminaire, qui est susceptible de déboucher sur une procédure devant une instance juridictionnelle doit être considérée comme relevant de la notion de « procédure judiciaire » au sens de l’article 201 de la directive. Très souvent, Avocats.be engrange des succès qui sont presque passés sous silence et ce, au profit exclusivement de la profession. Je vous invite à lire la Tribune à ce titre.

 

  • PB : AVOCATS.BE est donc devenu la pierre angulaire de notre profession, que ce soit pour sa défense, son organisation, son évolution.  Le lien entre AVOCATS.BE et les barreaux locaux est-il suffisant pour assurer une collaboration efficace ?

BC : Effectivement, Avocats.be est devenu la pierre angulaire de notre profession. Toutefois, ce serait une erreur de penser que l’avenir de notre profession se décide exclusivement à Bruxelles. Il est vrai que le conseil d’administration d’Avocats.be est présent sur tous les fronts : il représente notre profession dans les milieux professionnels, économiques, politiques, analyse en permanence l’actualité législative belge et européenne, qui devient de plus en plus dense, et réagit avec célérité en vue de préserver les intérêts de la profession, rédige des projets de règlements, développe sans cesse de nouvelles initiatives qui tendent à renforcer la place de l’avocat dans notre société.

Ce travail est régulièrement présenté et soumis à l’assemblée générale des bâtonniers qui, eux seuls, ont le pouvoir de voter. Il est donc essentiel qu’un travail en amont soit effectué par les barreaux.

« Le barreau de Liège doit, et il le fait aussi, entreprendre des actions, formuler des propositions quand il l’estime opportun »

Le barreau de Liège l’a montré, il remplit un rôle actif et ne se borne pas à entériner les projets qui lui sont soumis. Je félicite l’ensemble des membres de mon conseil de l’Ordre qui m’aide considérablement dans cette tâche.

Le monopole des initiatives n’appartient pas à Avocats.be.

Le barreau de Liège doit, et il le fait aussi, entreprendre des actions, formuler des propositions quand il l’estime opportun en fonction de l’actualité.

Un petit cocorico… le modèle de contrat de stage liégeois va devenir le modèle pour l’ensemble des barreaux francophones et germanophone.

Cela étant dit, les tâches devenant multiples et complexes, il est, à mes yeux, évident qu’il faut que les barreaux se rassemblent à l’image de ce qui se fait en Flandre, et unissent leurs forces pour assurer la défense des intérêts des confrères et de la profession au sens large.

 

  • PB : Depuis mars 2020, la pandémie et le confinement ont fondamentalement changé la vie des avocats et de notre Barreau. La Justice, déjà exsangue, a été mise à rude épreuve. La profession d’avocat, exigeante et passionnante, a été confrontée à une situation inédite, étant pourtant considérée comme une profession essentielle. Cette situation exceptionnelle amène de nombreuses questions. Au jour de la présente publication, comment pourriez-vous tenter de répondre aux interrogations suivantes :

 

  • Avez-vous le sentiment que la Justice a pu faire face à cette crise, et tenir son rôle dans une démocratie confrontée à une situation exceptionnelle ?

BC : Ce qui a pu être fait, c’est uniquement grâce à la bonne volonté des acteurs de la justice ; avec souvent des moyens limités, la justice a pu continuer à fonctionner, certes au ralenti. Je remercie les chefs de corps et les magistrats qui multiplient les initiatives pour limiter l’arriéré judiciaire, certains ayant décidé de reprendre les audiences de plaidoiries plus rapidement, d’autres d’augmenter le nombre de dossiers traités par audience très prochainement, d’autres encore qui ont accepté de renoncer à une semaine de vacances pour assurer des audiences de vacations durant la première quinzaine du mois de juillet prochain. Je n’oublie pas les greffiers et les employés des greffes qui ont dû s’adapter à une législation floue et changeante ainsi qu’aux ordonnances Covid-19.

« Le ministre de la justice ne s’est jamais autant tu qu’en cette période, peut-être trop occupé à essayer d’apprendre à mettre un masque… »

Il faut, en revanche, regretter que, sur le plan fédéral, aucune initiative constructive n’ait été prise, les autorités judiciaires locales étant « abandonnées » à leur sort. Le ministre de la justice ne s’est jamais autant tu qu’en cette période, peut-être trop occupé à essayer d’apprendre à mettre un masque…

Il y aura bien des enseignements à tirer à l’avenir de l’effort des uns et de l’inertie des autres.

 

  • Quelles sont les mesures phares qui ont été prises par le Barreau pour faire face à l’arrêt/ralentissement de la justice, que ce soit au niveau de la communication, de l’organisation ou de l’aide aux avocats ?

« Vous avez reçu plus de 40 info-ordres qui traitaient de la question du coronavirus. Les adaptations et interventions du barreau de Liège ont été nombreuses. »

BC : Pour parler de la communication, vous vous êtes retrouvés submergés d’info-ordres non pas parce que je serais devenu un graphomaniaque mais parce que j’ai estimé devoir vous informer au jour le jour des mesures prises par les chefs de corps et les autorités fédérales ainsi que de l’évolution de la situation au quotidien. Vous avez reçu plus de 40 info-ordres qui traitaient de la question du coronavirus. Les adaptations et interventions du barreau de Liège ont été nombreuses.

En voici quelques-unes concernant l’organisation ou l’aide aux avocats : report des dates d’échéances des cotisations à l’Ordre, obtention du gouvernement fédéral que les stagiaires de 1ère année puissent aussi bénéficier du droit passerelle, accès gratuit aux bases de données juridiques, affiliation auprès de la société Bsit pour la mise en place d’un système de garde d’enfants pour les parents avocats, démarches auprès du gouvernement fédéral pour obtenir le paiement des indemnités baj plus rapidement, maintien des services de l’Ordre, poursuite du traitement du contentieux des honoraires, maintien des permanences baj. Et ce n’est pas fini : actuellement, des discussions sont en cours avec la Ville de Liège pour la mise en place d’un service de permanence de première ligne pour les commerçants et indépendants liégeois ; en concertation avec le tribunal de l’entreprise de Liège, la chambre de commerce et d’industrie de Liège et notre barreau, il y a une volonté de promouvoir la demande de désignation d’un médiateur d’entreprise au sens de l’article XX.36 du code de droit économique. Pour les entreprises en difficultés, il existe, en effet, d’autres solutions que la procédure de réorganisation judiciaire ou la faillite. Enfin, avec le baj, nous avons aussi le souhait de décentraliser des permanences de deuxième ligne en allant davantage vers le justiciable…

 

  • La solidarité va forcément jouer un rôle dans les prochains mois. L’enquête récente d’AVOCATS.BE laisse entrevoir que de nombreux confrères risquent d’entrer ou de rester dans une spirale négative pouvant mener à une fin abrupte de leur carrière. Comment le Barreau peut-il les aider au mieux ?

BC : Je suis très préoccupé par la situation de nos confrères pour les prochains mois. L’enquête du conseil national des barreaux français du 21 avril dernier et le résultat du questionnaire sur les répercussions de la crise Covid-19 communiquées récemment par Avocats.be sont éloquents. Je crains que les effets les plus négatifs soient ressentis après l’été. Je compte être vigilant mais, à ce stade-ci, il est difficile de mesurer l’ampleur de ces effets. Je rappelle à cet égard que la commission solidarité reste à la disposition de l’ensemble de nos confrères. Leurs demandes sont traitées individuellement dans la plus totale discrétion.

 

  • Concrètement, quelle particularité de la Justice, mise en lumière par la pandémie, doit être changée d’urgence ?

BC : S’il y a une bataille à poursuivre, c’est celle d’obtenir un budget réel pour la Justice. Comme l’a relevé à juste titre le Président d’Avocats.be, « au nom de la sacro-sainte indépendance du pouvoir judiciaire, le monde politique, et plus particulièrement l’exécutif, semble ne pas vouloir intervenir. Entre l’indépendance intellectuelle des magistrats dans les décisions qu’ils prononcent et les mesures sanitaires qui doivent être prises par l’autorité pour permettre une bonne organisation du déconfinement, il y a une marge ! Pourquoi un tel silence ? Sans doute parce cette crise aura mis en lumière ce qui est dénoncé par les acteurs de justice depuis des années : un manque cruel de moyens ».

La justice a toujours été le parent pauvre de l’Etat. Le silence que nous avons observé et qui perdure en est l’élément criant.

 

  • Quel élément positif ou réaction avez-vous pu observer « grâce » à la pandémie dans l’organisation de la justice ? L’informatisation de la Justice et de notre Barreau va-t-elle pouvoir se poursuivre sur la lancée de ce que nous observons avec la pandémie ?

BC : La crise a généré des initiatives sur le plan informatique qui méritent d’être encouragées et amplifiées. Je pense au maintien de la possibilité d’introduction des requêtes par la voie électronique et notamment par la DPA, le développement des visioconférences en vue de la suppression de déplacement inutile pour des audiences purement organisationnelles, l’accès en ligne depuis le cabinet de l’avocat aux dossiers visant tant les procédures civiles que pénales ainsi que la communication systématique et sans frais des décisions rendues par voie électronique aux conseils des parties.

 

  • Concrètement, comment vit-on la fonction de bâtonnier au quotidien face à un tel événement ?

BC : Je peux vous dire qu’on n’y est pas préparé… Les priorités changent, les urgences aussi. Je suis très heureux d’avoir pu travailler avec un barreau solidaire et respectueux des règles parfois difficiles à respecter et à aménager pour soi au cœur de l’épidémie. Les forces vives du barreau de Liège qui permettent à celui-ci de traverser la tempête, me stimulent au quotidien.

 

  • Vos projets ont probablement dû être revus, vu la situation actuelle. Comment entendez-vous mener la seconde partie de votre bâtonnat ?

BC : Il est attribué à Socrate que la sagesse commence avec la reconnaissance de notre ignorance.  Il faut admettre que les trois mois que nous avons vécus ont mis en exergue cette pensée. Jamais l’humain n’avait imaginé être aussi démuni face à un virus au XXIème siècle et alors que SPACE-X envoie des hommes en orbite.

« Jamais l’humain n’avait imaginé être aussi démuni face à un virus au XXIème siècle et alors que SPACE-X envoie des hommes en orbite. »

La poursuite de mon bâtonnat tiendra compte de tous les paramètres actuels en ce compris celui « je sais que je ne sais rien » qui vient de nous être rappelé avec force mais avec la ferme intention de préserver notre profession, d’œuvrer pour sa défense, sans oublier le respect de nos valeurs et le maintien du monopole de la plaidoirie.

Continuez à bien prendre soin de vous et de vos proches ! Je vous souhaite déjà d’aussi bonnes vacances d’été que possible.

 

Propos recueillis par Maître Pierre Bayard.

Sur le fond, il y aurait trop à dire.
Je taquinerai donc les auteurs uniquement sur la forme.
Notons d’emblée les mots legaltechs, bigdata, blockchain, legal design, back to the future, paperless, right(s) now. Pour certains, un équivalent français existe (et a d’ailleurs été employé dans le même texte, dans l’expression, certes cocasse, « cabinet sans papier ». Rappel de circonstance : bien se laver les mains !). Pour d’autres, je serais étonné qu’on puisse en donner une définition claire :
- Legaltech n’existe même pas tel quel en anglais, legal tech (prononcez « légueul tek ») signifiant littéralement « technologie juridique », ce qui ne veut pas dire grand-chose, on en conviendra ;
- Data, qu’on nous sert à toutes les sauces, ce sont simplement des données ;
- Blockchain, c’est une chaîne de blocs et même Wikipédia s’emmêle les pinceaux dans ses tentatives de définition ;
- Legal design, ça fleure bon la mode langagière : littéralement « conception juridique », ça n’a guère de sens commun.

Il est question ci-dessus, à propos des sites d’avocats sur Internet, de « curation de contenu » … ?
À la première lecture, ça m’a fait penser à notre distinguée ministre de la santé oubliant la caméra et fourrageant dans son blair. J’ai couru, comme souvent, au dictionnaire. Curation (qualifié de vieilli, rare et même désuet) : Ensemble des moyens mis en œuvre pour amener la guérison (d'une maladie, et spécialement d’une plaie).
J’aurais opté pour « toilett(ag)e », « mise au point », « agencement », « ajustement » du contenu.

Un vote ou une assemblée générale « en présentiel » ?! Holà, mes amis. Ne cédons pas aux tics pompeux des académico-journalistico-politiques et autres péteux de la fédération walomachinchose. Comme le répondait l’Académie française à une dame qui demandait s’il fallait écrire présentiel ou présenciel : « On dira en présence plutôt que cet anglicisme, presential. Cela permettra d’utiliser des formes sanctionnées par des décennies d’usage, mais aussi d’éviter d’avoir recours à des néologismes dont l’orthographe est mal fixée ». Ils sont bien polis, ces Immortels.
En français, on a le choix : outre « en présence », « en personne », « de vive voix », « en face à face », « en tête à tête », voire même « nez à nez » … T’en foutrai, moi, des présentiels.
Amicalement, Jari.

Eh, les gars (désolé, Amélie, je n’ajoute pas « et les garces » …), Dupond-Moretti ministre de la justice : vite, un commentaire de nos autorités ordinales !
Moi, je suis fasciné : grande gueule, épaules solides, connaissance du domaine ; le nec plus ultra, non ?
Enfin un vrai loup dans la bergerie. Macron ne va pas rire tous les jours.
Car Dupond-Moretti, c’est un avocat !!! Un avocat, ministre de la justice, c’est fabuleux, ça en jette.
En tout cas, ça devrait ressusciter la sécurité juridique, dézinguer la graphomanie réglementaire, écrabouiller les obsédés des réformes imbéciles dont la seule motivation est de laisser une trace de leur passage ici-bas, tel Attila sur la route duquel rien ne repoussait. Un avocat à pareil poste, ça nous garantit la fin du choléra administrativo-administratif. Finis les « Z’avez pas le bon formulaire, faut tout recommencer ! ». Terminées, les tentatives autoritaires quotidiennes. À la poubelle, le 16ème nouvel article L-1334-M-235 bis, § 3, alinéa 6, 4è tiret « dans sa version applicable à l’espèce » : UN droit, et tout le reste, de travers, aux chiottes.
Ils sont gonflés, ces français ! Je les envie. Ce n’est pas en Belgique qu’on ferait un pari pareil.
Quoi ? Koen Geens aussi était avocat ?! Ah bon ?
Y a plus qu’à espérer que Moretti ne mettra pas un masque, lui. Surtout sur le front …
Bon, je retire ce que j’ai dit : ne commentons pas avant d’avoir vu. Moi qui me réjouissais …
Amicalement,
Jari.

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