Liège, Avril 2033... par Isabelle Thomas

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Liège, Avril 2033

Notre reporter de l’Open Barreau, Me HENRY, quatrième du nom, va à la rencontre de notre ancienne consoeur, Isabelle THOMAS. C’est au vingtième étage d’une tour dominant Liège, qui lui vaut d’ailleurs le surnom de « Pythie de la Tour », qu’elle nous ouvre la porte, dans un nuage d’ambre et d’encens.

De lourdes et opulentes tentures ocre et fushia recouvrent les murs d’une salle d’attente qui, dit-on, ne désemplit jamais. Après nous avoir fait enlever nos chaussures, elle nous fait entrer dans son cabinet de consultation, une pièce dépourvue de toute source de lumière naturelle, « l’énergie du soleil détournant ma concentration », nous confiera-t-elle un peu plus tard, son éternel fume-cigarillo toujours flanqué au coin de sa bouche étrangement fardée.

Le mysticisme s’inscrit dans chaque détail : statues de déesses grecques voluptueuses et attrape-rêves colorés se disputent les étagères d’une bibliothèque chargée de bouquins traitant aussi bien de l’histoire du sanskrit que de minéralogie. Point de trace de Codes Larcier, dont elle nous dit qu’elle les a tous brûlés, le jour de son omission du Barreau, et que « la fumée qui s’en dégageait a fait apparaître dans la seconde un arc-en-ciel ! ». Au royaume de la croyance, nous n’avons d’autre choix que de souscrire à cette anecdote… fumeuse !

Open Barreau : Comment vous est venue l’idée de vous spécialiser en justice prédicatrice ?

Isabelle Thomas : En fait, tout cela provient d’une erreur monumentale, croyez-le ou non ! J’assistais à une de ces innombrables et interminables réunions d’une commission de l’Ordre, lorsque quelqu’un a parlé de justice prédictive. C’était, à l’époque, un sujet très à la mode, bien qu’effrayant pour la plupart d’entre nous car nous craignions tous d’être très rapidement remplacés par des robots. Je n’avais aucune idée de ce que pouvait être la justice prédictive et, pour tout vous dire, j’avais même cru entendre « justice prédicatrice ».  C’est de retour à mon cabinet que je me suis renseignée sur le sujet et que j’ai compris que, ce qui intéressait le plus les justiciables, c’était d’être (r)assurés quant à l’issue de leur procès. Qu’on leur dise oui, qu’on leur dise non, peu importe, mais avec un degré de certitude infaillible.

OB : De là, vous en venez donc à proposer une réponse par le tirage de cartes…

IT : Tout à fait ! Les gens viennent me soumettre leur problème juridique, et, d’après le tirage de mes cartes, je leur dis s’ils vont ou non gagner leur procès. L’avantage immense par rapport à mon ancien métier d’avocat, c’est que désormais je peux garantir à mes clients un résultat, même si ce n’est plus moi qui m’en occupe après, ce qui, du reste, m’arrange très bien. Vous comprenez, à un moment très précis de ma carrière, j’en ai eu marre de tout le cirque de la Justice : conclure des inepties demandées par des clients, plaider contre des folles hystériques, recevoir des jugements médiocrement motivés… tout cela m’a lassée.

OB : Vous n’avez donc jamais regretté d’avoir quitté le Barreau ?

IT : Oh doux Jésus ! Jamais ! Mais j’en ai conservé ce qui continue à faire la substance de mon travail à l’heure actuelle : la relation de confiance avec le client, la déontologie stricte… Je vous vois sourire, mais bien sûr, je m’impose aujourd’hui comme hier une déontologie. C’est une déontologie, non plus fondée sur la crainte de l’erreur et la punition par le bâton, mais uniquement sur la glorification de la réussite et la récompense. Par exemple, après chaque client, je m’octroie un petit verre de sherry, puis c’est reparti. Vous savez, on n'a jamais attrapé des mouches avec du vinaigre (rires).

OB : A propos de déontologie, n’avez-vous jamais eu de clients mécontents de vos services ?

IT : Jamais ! Ecoutez, c’est bien simple (et c’est encore une chose que j’ai apprise de mon passage au Barreau) : lorsque les gens vous craignent, ils n’osent rien contre vous. Je laisse donc entendre à mes clients que je suis également adepte de magie noire et que, s’ils me font des misères, ils seront confrontés aux foudres de la Pythie (ndlr : on est tout prêts à la croire, vu le ton qu’elle vient d’employer pour rembarrer sa secrétaire car la malheureuse s’était trompée dans les boissons qui nous sont apportées).

OB : Pour finir cet entretien avec une question indiscrète, peut-on connaître le montant de vos honoraires ?

IT : Bien sûr, il n’y a pas de secret ! Vous les trouverez d’ailleurs sur mon site www.jurispirit.com.  Tout dépend en fait de la réponse que j’apporte à mes clients ; s’ils doivent introduire un procès, il ne m’est dû qu’un montant forfaitaire de 50 €. S’il s’avère au contraire que leur procès est perdu d’avance, ils me doivent alors l’équivalent de la moitié de ce que leur avocat leur aurait facturé. Je n’ai jamais eu de contestation d’honoraires. Mes clients savent que c’est du « win-win ».

*

L’interphone n’arrêtant pas de sonner, nous comprenons qu’il est l’heure pour nous de quitter les lieux. Notre hôte profite de ce moment pour nous glisser sa carte de visite « au cas où » nous aurions besoin de quelque sous-traitance pour un dossier épineux. Dont acte.

Isabelle Thomas Isabelle-Thomas

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