Partager sur
Compte rendu du colloque Justice Prédictive du 19 mai 2017
Compte rendu du colloque Justice Prédictive du 19 mai 2017
Sur proposition de Mme le Bâtonnier, nous avons participé au colloque organisé le 19 mai 2017 par l’Université Catholique de Lille sur le thème de la justice prédictive. Le Barreau de Lille a lancé en septembre 2016 un programme informatique qui permet d’estimer les chances d’obtenir gain de cause en cas de procédure judiciaire. Ce colloque était organisé dans le prolongement de cette initiative et notamment afin de répondre à un certain nombre de questions liées au fonctionnement de la justice assistée par ordinateur.
Après une intervention inaugurale du Président-Recteur de l’Université Catholique de Lille, du Premier Président de la Cour d’Appel de Douai et du Bâtonnier de l’Ordre, M. Antoine GARAPON, magistrat, docteur en droit, et secrétaire de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice, a commencé le colloque par une introduction générale, voire philosophique. M.GARAPON estime notamment que la justice prédictive assistée par ordinateur serait une révélation de la jurisprudence aux juges, qui pourrait entraver leur liberté de juger. Il considère cependant que la sécurité juridique et l’analyse du risque seront améliorées. S’est alors posée la question de savoir si la délégation de la fonction de juger à un mécanisme tel qu’un ordinateur ne rendrait pas la justice humaine plus chère que la justice prédictive. Quel coût aura l’homme dans cette future configuration ? Après cette brève introduction, plusieurs intervenants se sont succédé pour présenter différents logiciels, qui ont été développés en utilisant l’intelligence artificielle ou des algorithmes. Tout d’abord le logiciel PREDICTIS, qui est un logiciel développé par une « legaltech » composée d’avocats et d’informaticiens. Le logiciel a pour objectif l’automatisation des tâches et l’aide à la décision. Il permettra, non seulement de trouver une décision, mais également de traiter la masse de données en exécutant des analyses statistiques. L’insécurité juridique, l’aléa judiciaire, seront donc réduits à peau de chagrin. Finies également les recherches chronophages et les mises à jour perpétuelles à faire concernant la législation. Ce logiciel permettrait également une très grande transparence, ce qui permettra d’avoir un traitement similaire de la donnée. Ce logiciel peut s’assimiler à une sorte de grille Claeys. En effet, le logiciel va recenser l’ensemble des décisions et prendre les points communs de celles-ci pour dégager des lignes directrices et une donnée statistique. Ce logiciel permettrait également d’identifier les moyens les plus pertinents et influents dans les décisions. Cela risquerait de faire diminuer la créativité des plaideurs et semble être un piège de la facilité. S’est posée également la question de la prise de conscience du juge face à ces nouvelles façons de fonctionner. Quelle sera son attitude lorsqu’un plaideur soulignera que, dans 78% des cas, une décision favorable a été prononcée ? L’avantage de ce type de logiciel est très important dans le mode alternatif de résolution des conflits. Ce logiciel est un véritable outil de déjudiciarisation, qui permettra aux parties intervenant volontairement dans ce type de procédure de fonder leur décision sur un critère supplémentaire, à savoir une analyse statistique des décisions judiciaires. Ensuite un autre intervenant est venu présenter le logiciel « Doctrine.fr ». Ce logiciel qui se traduit sous la forme d’un site web, propose un moteur de recherches « à la GOOGLE ». Selon le fondateur de ce site, l’algorithme apprend en fonction du comportement de son utilisateur, de sorte que chacun d’entre nous, en fonction de ses recherches et de ses interactions avec les résultats, disposera de résultats « personnalisés ». Se pose donc la question de la neutralité et de la pertinence arbitraire. Ensuite différents magistrats ont exposé le point de vue juridique de la justice prédictive. Ceux-ci sont partis du constat que, plus une machine est autonome, plus elle est dépendante de la donnée. Se pose alors la question de la collecte de cette donnée. Que se passe t-il si celle-ci est automatisée ? Une réflexion a également été faite sur l’augmentation de la sécurité juridique au détriment du droit. En effet, un des magistrats a fait remarquer que, dans certaines matières, la justice prédictive rendrait la pratique totalement automatisée. Un autre magistrat a également fait une réflexion sur la subjectivité des résultats de recherches de ce type de logiciel. Il estime, en effet, qu’une grande part d’influence et de subjectivité sera transmise dans les résultats. A titre personnel, je ne peux évidemment partager cet avis. A ce jour, les chroniques de jurisprudence publiées sont l’apanage de certains auteurs. Les décisions sont soigneusement sélectionnées. Cela implique, à plus forte raison, une grande subjectivité dans le chef de l’auteur de cette chronique. Avec l’arrivée d’une masse de données, il y aura inévitablement moins de subjectivité et bien plus de neutralité dans les résultats de recherches de jurisprudence. Après midi, nous avons écouté deux membres du CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice). Les intervenants ont examiné la justice prédictive au niveau des droits fondamentaux et des problématiques que cela pouvait impliquer, notamment à l’égard du droit au procès équitable. Ils ont, en effet, mis en garde les utilisateurs de ces logiciels contre un danger, à savoir se borner à entrer des données dans un ordinateur et rendre une décision sans confronter les éléments au contradictoire. De manière un peu caricaturale, les autres intervenants mettent en garde contre une justice automatique rendue par un ordinateur. Cette approche me paraît démontrer le manque de compréhension évident des nouvelles technologies puisque ces outils ne sont pas créés pour remplacer l’humain mais pour lui faciliter le travail. Lors de ce colloque, j’ai pu constater, malheureusement, que beaucoup de magistrats français voient ces logiciels d’un « mauvais œil » car ils permettraient, de manière statistique, d’analyser la jurisprudence. Les juges français que nous avons entendus ont le sentiment qu’ils perdraient, en quelque sorte, le pouvoir de juger dans certains cas. http://www.fld-lille.fr/evenements/colloque-justice-predictive/ Florian Ernotte
Ajouter un commentaire