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Le blues de l’oratrice de rentrée
Le blues de l’oratrice de rentrée
Cela devait me tomber dessus un jour, ce châtiment de tout qui pèche par excès de vanité. Avoir accepté ce poste d’oratrice de rentrée sous prétexte de quelques jets de fleurs caressant délicatement mon ego, pour me retrouver, aussi sèche qu’une saucisse, face à une page blanche.
C’était bien agréable, d’être congratulée l’année passée, de serrer des pinces et de s’enivrer de belles paroles (« ça va être génial »), un peu comme si j’étais enceinte et que tout le monde était persuadé que je couvais un futur président de la République, alors qu’au fond de moi, déjà, cette appréhension : il sera moche, bête et chiant.
Ce n’est pas faute de sujet ; j’en avais bien évidemment un en tête lorsque j’ai accepté cette mission, il y a un an. L’ayant finalement jugé trop polémique, je l’ai remisé au placard, voulant par là également éviter d’affronter de nouvelles menaces de confrères du type « je lui fouterais bien mon point sur la gueule » (cas vécu).
Pensant ensuite avoir trouvé un autre sujet à mon image (la Vacuité sous toutes ses formes), j’ai commencé à me documenter (c’est-à-dire que j’ai rempli un panier Amazon), pour constater que le vide était trop plein de physique quantique pour moi qui n’avait eu à l’école qu’un cours (sic) « d’éducation scientifique ».
Ci-git depuis lors sur ma table de nuit, toujours ouvert en sa page 11, l’ouvrage « La Plénitude du Vide » qui, j’en suis sûre, trouvera une seconde vie prochainement dans quelque brocante (si intéressé(e) : m’envoyer message privé).
Plutôt qu’essayer de trouver un nouveau sujet, je me suis demandé si la solution n’était pas, TOUT SIMPLEMENT, MON DIEU COMMENT N’Y AVAIS-JE PAS PENSE PLUS TOT (vous voyez le genre de solution qui vous saisit à 3heures du matin dans votre lit et que vous trouvez grandiose sur le moment), de me dérober à mes responsabilités.
Il devait bien y avoir dans l’Histoire au moins un exemple d’orateur élu qui n’avait pas pu faire son discours pour une raison X ou Y (guerre, maladie, mort, que sais-je ?). Parce qu’on l’oublie trop souvent, mais il peut s’en passer des choses en un an et demi, soit entre l’élection et le discours.
Mais la réalité vous rattrape toujours : au détour d’un couloir du palais, lorsqu’on m’a dit « si tu as besoin de conseils de relecture, je suis là » (en moi-même « relecture de quoi ? »), ou au bureau, lorsque mon père m’a ramené « quelques ouvrages philosophiques » exhumés de chez mes grands-parents, soit 15.000 pages d’édition La Pléiade de Rousseau, de la Rochefoucauld et consorts.
Etape 1 : sourire et remercier (car fondamentalement, c’est gentil et ça part d’une bonne intention).
Etape 2 : stresser et se dire qu’il est grand temps de se sortir les doigts… des poches.
Etape 3 : se dire qu’on va y consacrer l’entièreté des vacances de Pâques.
Pâques passe. La vache a regardé passer le train.
Juin arrive, et avec lui un candidat (inconscient ou suicidaire) au poste d’orateur 2018. Fourbe, je tente de le soudoyer pour qu’on échange nos années de prestation, mais sa réponse –ingrate- fut négative et non négociable.
« Et si je leur passais un film ? », nouvelle brillante idée de votre serviteur, la même d’ailleurs qui me saisit chaque vendredi avant d’aller donner mon cours de droit aux étudiants de Gramme. De toute façon les gens s’emmerdent, ils n’écoutent pas, et se sentent obligés d’être là. Voilà enfin de quoi dépoussiérer cette tradition qui hume la naphtaline.
Tout n’est pas perdu, car les grandes vacances arrivent et au rythme de 62 jours de travail de 10 heures par jour, j’y consacrerai 620 heures, soit 11 heures par semaine si j’avais bossé dessus depuis un an, ce qui me semble tout-à-fait honorable.
Dans l’intervalle, je vais zoner sur Internet pour essayer de trouver la robe que je vais porter ce jour-là. Il est vrai que j’aurai de toute façon ma toge par au-dessus, et qu’on n’en verra rien, mais appelons ça un détail de l’histoire.
Procrastination, j’écris ton nom.
Isabelle Thomas
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