Quand on se compare

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Il y a bien des raisons qui justifieraient que la Belgique et le Québec fassent l’envie l’un de l’autre. Nous envions bien certaines de vos bières par exemple (quoiqu’on s’en tire de mieux en mieux à cet égard!); en tant que cycliste il y a bien des jours ou j’aurais envie d’avoir un pays aussi plat que le vôtre; et que dire de ce fantastique Stromae! De votre côté, vous enviez, j’en suis certain, nos grands espaces et notre équipe de hockey[1], et probablement aussi notre climat[2]. Mais s’il y a une chose que nous n’envions pas de la Belgique, c’est votre fédéralisme. Lorsqu’on y jette un œil, on se dit que quand on se compare, on se console. Je suis, du reste, assez persuadé que vous vous dites la même chose lorsque vous jetez un coup d’œil au nôtre. Bref, pour rester dans l’ambiance du mois de novembre[3], j’ai décidé de traiter aujourd’hui du sujet (déprimant) du fédéralisme. Même si plusieurs sujets d’intérêt d’un point de vue juridique auraient pu être abordés[4], celui-ci semblait s’imposer. En effet, une campagne électorale fédérale a battu son plein au Canada pendant plus de deux mois (la plus longue de l’histoire du pays!) et s’est soldée, le 19 octobre dernier, par la victoire de la coqueluche (ou du chef, c’est selon) du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, le fils de l’autre. Comme dans toute bonne campagne électorale se déroulant au sein d’un régime fédéral, les questions reliées au fédéralisme ont émergé, même si on a tenté (au Canada, comme on l’aurait fait en Belgique, j’imagine, et peut-être dans tout régime fédéral normalement dérangé) de les balayer en dessous du tapis comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes[5]. Malgré toutes ces bonnes intentions de javelliser le sujet, on n’y échappe pas : on peut tenter de sortir le fédéralisme de la campagne, mais on ne peut quand même pas, comme le veut la formule populaire québécoise utilisée à toutes les sauces, sortir la campagne du fédéralisme. Dans la dernière campagne canadienne, cet enjeu a notamment pris la forme des nombreuses promesses faites par les chefs de partis fédéraux et ayant trait à des champs de compétence provinciaux. Au Canada, les champs de compétence provinciaux et fédéraux sont prévus dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique[6], une loi constitutionnelle adoptée en 1867. Ces champs de compétence ont depuis été précisés ou adaptés par la jurisprudence lorsque nécessaire et sont aujourd’hui clairement établis. Nous savons donc maintenant facilement quand les politiciens décident confortablement d’en faire fi. Par exemple, nous avons pu voir au cours de la dernière campagne des chefs de partis fédéraux s’engager à mettre sur pied un programme de garderie universelle pour les jeunes enfants; à embaucher de nombreux médecins, infirmières ou autres professionnels de la santé; ou à investir de grands montants dans le financement des soins et services à domicile, alors que toutes ces mesures ressortent clairement de juridictions provinciales. Les gouvernements fédéraux du passé[7] ayant eu à gérer ce genre de situations finissaient généralement par offrir un montant d’argent aux provinces, mais assortissaient ce montant de conditions reliées aux compétences provinciales pertinentes, s’immisçant ainsi dans des questions qui ne sont pas de leur ressort. Je vous vois venir! Vous me direz « Qu’elles refusent l’argent, ces fières provinces! Qu’elles protègent leurs champs de compétence »! Mais voyez-vous, dans ces années de vache (très) maigre, le premier ministre provincial qui a de la difficulté à boucler son budget serait bien mal venu de sacrifier, sur l’autel du Fédéralisme[8], quelques centaines de millions de dollars qui pourraient lui permettre de bâtir une école de plus et d’ainsi favoriser sa réélection. On y voit bien l’accroc au principe[9], mais on rejette rarement la main qui nourrit sous prétexte que cette main viole le fédéralisme[10], surtout lorsque la menue monnaie que contient cette main s’élève à des dizaines ou centaines de millions de dollars à la fois sonnants, trébuchants et mirobolants. Bref, les gouvernements provinciaux ont, malgré tout, souvent accepté ces montants. Et on ne peut pas vraiment leur en vouloir : les services sociaux, de manière générale, sont de leur ressort. Étant donné que cette compétence, qui inclut des domaines vastes et onéreux comme l’éducation et la santé, a mené à une augmentation importante des dépenses des provinces au cours des dernières décennies, celles-ci se trouvent souvent avec un manque à gagner budgétaire et sont alors bien contentes de pouvoir le combler en partie en acceptant les montants offerts par le gouvernement fédéral, que ce dernier y attache des conditions empiétant sur leurs champs de compétence ou non. La position inverse, soit celle où il n’y aurait aucun engagement du fédéral dans ces domaines (et donc aucun investissement) ne serait probablement pas bienvenue non plus. La position mitoyenne, soit celle où on octroierait du financement en assortissant celui-ci à des conditions minimes (ou à pas de conditions du tout!), serait probablement celle qui rallierait le plus les provinces, mais nous savons bien, Belges comme Québécois, qu’on ne peut avoir la meilleure solution dans un régime fédéral. Ce serait trop facile! Mieux vaut se compliquer un peu la vie et tergiverser jusqu’à ce qu’on arrive graduellement à une solution qui fera, au minimum, partiellement inadéquate. Ayez donc une pensée pour vos confrères québécois, nous qui devons nous remettre de toutes ces discussions électorales et nous préparer aux rigueurs de l’hiver. Je sens déjà poindre la jalousie dans votre esprit!   Hugues Doré-Bergeron

Originaire de Chicoutimi, Hugues D. Bergeron a d’abord obtenu un diplôme de la Faculté des arts de l’Université McGill, avec une majeure en science politique, une mineure en histoire et une mineure en espagnol. Il a ensuite terminé des études en droit (B.C.L. / LL.B.) au sein de cette même université, tout en y obtenant une majeure en allemand. Son parcours académique l’a entre autres amené à étudier la science politique au Mexique à l’Universidad de las Américas ainsi que le droit allemand en Allemagne à la Humboldt-Universität zu Berlin, à être impliqué dans différents organismes étudiants et à être bénévole au sein d’une ONG environnementale au Kenya. Il est présentement avocat et pratique dans le domaine du litige.

 
[1] Il s’agit, selon nous Québécois (mais surtout les Montréalais), d’un trait commun à tout peuple de la terre que de jalouser les légendaires Canadiens de Montréal. Rien ne suggère que vous soyez, à cet égard, différents des autres.
[2] En effet, il peut faire – 30 degrés ici l’hiver, mais au moins quand il fait – 30 il ne pleut pas.
[3] Au Québec, on associe généralement le mois de novembre à une espèce de lassitude saisonnière due notamment au fait que l’Halloween est terminée; qu’il fera – 30 sous peu et qu’il faudra bientôt s’entre-piétiner pour acheter des cadeaux de Noël.
[4] Un imbroglio, dont les avocats belges ont probablement eu vent, a impliqué la Bâtonnière du Québec, celle-ci ayant finalement démissionné; un nouveau projet de loi du gouvernement québécois visant à prévenir les discours haineux a également suscité beaucoup de débats; sans parler du nouveau Code de procédure civile qui entrera en vigueur d’ici quelques mois ou de l’interminable débat causé par une citoyenne qui voulait porter le niqab lors de sa cérémonie de citoyenneté.
[5] En fait, à voir cette phrase de Candide, on se demande si le personnage, en s’exprimant ainsi, ne se trouvait pas d’une manière mystérieusement anachronique à prédire le mantra de la majorité des apôtres des régimes fédéraux...
[6] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3 aux articles 91 et 92. Disponible en ligne à l’adresse suivante: https://www.canlii.org/fr/ca/const/const1867.html .
[7] Les actuels chefs de partis fédéraux n’ont quand même pas l’honneur d’avoir inventé l’empiétement sur les champs de compétence provinciaux.
[8] Notez ici l’utilisation de la majuscule à « Fédéralisme », à des fins théâtrales seulement.
[9] Un des «principes constitutionnels directeurs fondamentaux » du Canada; ce n’est pas moi qui le dis, c’est notre Cour suprême; voir le Renvoi relatif à la sécession du Québec [1998] 2 RCS 217 au para 32. Disponible en ligne à l’adresse suivante : http://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1643/index.do .
[10] Je me trouve en effet incapable de citer un exemple où une telle décision fut prise; j’accueillerai volontiers toute suggestion à cet égard.

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