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Le sport comme facteur d'intégration au barreau ?
J’étais certes déjà très dubitative lors du lancement des ateliers jogging du barreau, auxquels je me suis pourtant inscrite dans le dessein très mesquin d’en faire un article pour la présente revue, article qui aurait nécessairement été très ironique et moqueur. Au final, point d’article, puisqu’à mon grand regret et à mon corps défendant, j’ai trouvé cette session très bienveillante. De là à signer pour un tour complémentaire, fallait pas pousser bobonne dans les orties, surtout lorsque j’ai compris qu’aucune séance n’était annulée sous prétexte qu’il faisait froid, noir ou qu’il pleuvait. Ajoutez à cela le photographe qui vient vous tirer le portrait en pleine foulée, le teint rougi, le mascara coulant, le cuissot disgracieux et le chignon qui pendouille, il n’en fallait pas davantage pour que je préfère aux ateliers jogging mes ateliers canapés. « Je ne considère pas comme une tare le fait que mon fils ne fasse pas de sport (+ smiley malicieux)», m’a écrit récemment une cliente, et c’est de manière spontanée que je lui ai répondu « halala, mais MOI NON PLUS » et que je lui ai renvoyé son smiley malicieux. C’est la précaution d’usage à la lecture de ce qui va suivre : Isabelle Thomas parlant de sport, c’est comme si Bachar al-Assad venait faire une conférence sur la paix, ou si un aficionado du McDo se lançait dans la critique gastronomique. En recevant le mail de la CLJB proposant une initiation au cross fit, ma première réaction a été l’incompréhension. Pourquoi, mais pourquoi tant de haine ? La question mérite d’être posée : quel est l’intérêt de ce genre d’activité ? Eugénisme sportif ? Dérive hygiéniste de notre société ? Revenant aux missions habituelles du Jeune Barreau, la pratique collective d’un sport est-elle réellement facteur d’intégration et de convivialité ? A mon sens (certes extrême mais j’avais prévenu), absolument pas, que du contraire même. La posture de l’effort physique est telle que, être soumis aux regards de ses pairs est humiliant, voire dégradant. Le cercle vicieux se referme lorsqu’en outre, cela ne fait que renforcer l’esprit de compétition déjà naturellement (trop) présent dans notre profession. Ce type d’expérience ne me rappelle que trop les douloureuses séances de gym à l’école qui opposaient systématiquement les forts et les faibles, et les occasions pour la première catégorie d’affirmer sa supériorité sur la seconde. La volonté de cohésion est un leurre, et je ne gage aucunement sur le fait que les individus aient changé, et qu’ils ne soient plus les mêmes petits salopards qui composaient les équipes de volley-ball en me choisissant systématiquement en dernier. Ensuite, je me suis interrogée sur le choix particulier du cross fit. Décrit de manière très laconique comme suit : « Le Cross Fit permet de se mettre en forme et de se préparer pour n'importe quel sport ou discipline. Ce sport fonctionne autour des dix compétences athlétiques: l’endurance cardio-respiratoire, la force, l’endurance, la flexibilité, la puissance, la vitesse, la coordination, l’agilité, l’équilibre et la précision. » (à ce stade, rien ne distingue le cross fit du tennis ou du lancement de poids), il faut aller voir ce que Youtube regorge de vidéos pour mesurer l’ampleur du phénomène.
Car ne nous-y trompons pas, c’est bien de phénomène de mode qu’il s’agit; le cross fit est à notre époque ce que l’aérobic était dans les années ’80, et la zumba il y a encore quelques années. Le nombre considérable de hashtags #crossfit sur les réseaux sociaux, généralement accompagnés des mots clés #healthybody et #healthyfood, permet de mesurer le succès de la chose. En réalité, pratiquer le cross fit, c’est vivre cross fit. La recette du cross fit, c’est d’abord investir des lieux qui sentent déjà bien la sueur et la testostérone, genre un ancien garage de pneus, auquel il est important de n’apporter aucun aménagement, pensez-vous ! on doit encore voir la suie, et d’y jeter négligemment quelques caisses, quelques poids et quelques anneaux de suspension.
Dans une ambiance poussant jusqu’au fétichisme le cult(urism)e du corps, et sous les ordres d’un moniteur n’ayant rien à envier à un instructeur G.I., on saute par-dessus les caisses, on rampe par terre comme dans Apocalypse Now, on grimpe à mains nues à des cordes, on soulève 60 kilos de fonte en fléchissant les jambes, on développe si possible une carrure à la Sarah Connor avec force selfies, montrant des muscles tout secs, bien bandés et nourris à coup de douze blancs d’œufs à chaque petit déjeuner. On dépasse de loin toutes les limites qu’un physiothérapeute honnête, diligent et prudent recommanderait, et si, au bout de l’entraînement, on vomit de douleur, on s’empresse de s’en vanter, et d’en faire un #vomiselfie. Mais le plus impressionnant tient sans aucune doute à la communauté d’esprit cross fit, comme si tous ses adeptes étaient possédés par l’esprit de la fonte. J’ai remarqué chez beaucoup de ses pratiquants une dévotion quasi-religieuse, une obsession et un prosélytisme au-delà de l’entendement. On se congratule, on s’applaudit les uns les autres, on se sert dans les bras à la fin des exercices, on rit, ou pleure, on encourage le candidat à la levée des 100 kilos réunis autour de lui en demi-cercle, on se retrouve dans le cadre de « conventions cross fit », etc., ces scènes de ferveur ressemblant étrangement à la célébration des messes évangélistes aux États-Unis. Sport ou secte, c’est comme pour l’Église de scientologie, la question reste donc ouverte. Alors, que tout cela ne vous empêche pas d’essayer, la curiosité étant le plus beaux des défauts, d’ailleurs, si je me suis permis ces considérations, c’est que moi-même j’ai testé. La preuve ? Isabelle THOMAS-GUTT
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