"Les bonnes manières", épisode II : de la nécessaire quoique délicate cohabitation.

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[caption id="attachment_2375" align="alignleft" width="300"]copyright: Dominique Houcmant | Goldo copyright: Dominique Houcmant | Goldo[/caption]

Je pense avoir été élevée dans le respect de l’autorité et, par extension, de toute personne détentrice d’une parcelle d’autorité, à commencer bien évidemment par le Roi et la Reine (réminiscence du célèbre « tiens-toi bien à table ! Oserais-tu mettre ton coude à table devant le Roi ? »), Saint Nicolas – Père Noël  - Jésus (tous ceux qui apportaient des cadeaux), mes professeurs (même lorsqu’ils avaient tort, mais à l’époque on ne leur faisait pas remarquer), la Police (quoique ce respect se soit étiolé au fil des ans), et les juges, lorsque j’ai commencé le Barreau.

Cela m’impressionnait énormément de leur réserver le « Vous » majuscule dans le corps d’une requête, et je les imaginais mi-dieu, mi-homme, sortes de détenteurs de pouvoir de vie et de mort sur le justiciable, en bref « Salut et Respect ! ».

Mais comment se comporter face à eux, nous, pauvres et indignes mortels ? Je me souviens qu’à l’occasion de la semaine au vert du CAPA, une magistrate nous avait expliqué qu’il fallait se montrer respectueux (dire bonjour, mettre sa robe à l’extérieur de la salle d’audience, ne pas considérer la salle d’audience comme un réfectoire, etc.) sans toutefois se montrer obséquieux ni familier.

L’évidence même, me direz-vous. C’est également ce que j’ai pensé ; la politesse élémentaire, finalement.

Sauf qu’il était peut-être utile de le rappeler, et de continuer à le rappeler, vu le frisson de honte (=honte pour autrui) qui me parcourt l’échine lorsque je vois en audience des jeunes et moins jeunes avocats répondre au téléphone en audience (principalement en première chambre) et où je prie intérieurement pour que ce malheureux ne se fasse pas repérer, sous peine d’assister à une remise en place, certes méritée, mais bien sentie, devant un public pas forcément bienveillant qui s’empressera d’aller conter la scène à qui voudra bien l’entendre.

Mais cette cohabitation devient délicate lorsqu’on se rend compte à l’usage que les magistrats ne sont pas des demi-dieux, que certains figurent dans vos contacts Facebook (« dois-je lui souhaiter un bon anniversaire ? » ; « est-il de bon ton que je like une photo de lui en vacances ? »), désacralisation s’il en est, ou que vous apprenez à leur sujet quelque scandale sexuel dans le parking Saint-Lambert.

Et voilà que, patatras, l’entreprise de dégringolade, de désillusion nostalgique est en marche. L’aura dont vous aviez entouré ces personnages quasi mythiques s’évapore, un peu comme lorsque vous comprenez, dix ans après les faits, que le professeur de tennis dont vous étiez tombée follement amoureuse n’est en fait qu’un vulgaire plouc.

Pour couronner le tout, vous qui n’avez pas vu le temps filer, vous constatez désormais que ce sont vos amis de promotion qui commencent à être nommés juges à droite à gauche, oui, celui-là ou celle-là même que vous avez vu vomir sur ses pieds ou pleurer dans les toilettes à une soirée Beaujolais. Fini, le vieux sage aux cheveux blancs, druide et puits de connaissance, qui inspirait l’autorité et le respect naturels, voire parfois même la terreur.

Au fond, le système de cohabitation entre avocats et magistrats ne peut fonctionner sans une certaine dose d’hypocrisie (appelons-la politesse en l’occurrence puisque c’est le sujet), ou zone de tolérance réciproque où vous apprendrez à pardonner des décisions surprenantes, comme les magistrats vous pardonneront aussi les dossiers merdiques qu’il peut arriver d’avoir ponctuellement à plaider. Et surtout, ne pas oublier qu’on est toujours « celui ou celle qui a vomi ou pleuré dans les toilettes » pour quelqu’un.

Et vous ferez justice… amen ?

Isabelle THOMAS-GUTT

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