Un stage au sein d'une juridiction pénale internationale: pour qui ? Pourquoi ?

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Quand tout a commencé…

Me Amélie ADAM (AA) : 29 septembre 2010 : « Dear Ms Adam, I am pleased to offer you a position as an Intern with the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia » !  Créé par la résolution 827 du Conseil de Sécurité le 25 mai 1993, le Tribunal Pénal i-International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) représentait à mes yeux l’œuvre même de la justice pénale internationale. Heureuse d’être engagée dans une telle institution, j’ai pris avec moi mes nombreux ouvrages de droit international et aussi, mes idéaux ; je venais de terminer l’Université quelques mois plus tôt…

Diverses formalités à remplir cependant avant toutes choses : questionnaire du Ministère des Affaires Étrangères des Pays-Bas, des Nations-Unies, demande de bourse auprès du Bureau International Jeunesse puis… recherche d’un logement…

L’arrivée aux Pays-Bas fut…

AA : Assez froide. 2 janvier 2011. Arrivée à Scheveningen, La Haye, Pays-Bas, mon «  Internship programme et Guidelines » sous la main. J’avais décidé de vivre chez l’habitant, quelle drôle d’idée ! Ma propriétaire – bien que m’ayant réservé un accueil particulièrement chaleureux - n’avait manifestement pas pour habitude de mettre le chauffage dans sa maison. Bref, ma colocataire qui travaillait, quant à elle, à Cour pénale internationale n’aura pas tardé à me rejoindre…Oserais-je, aujourd’hui, avouer que nous nous réveillions la nuit, sur la pointe des pieds, pour augmenter les degrés du thermostat? Réveil matin 7h00. Les jours de pluies, je renonçais à mon vélo. J’enfilais alors mon anorak…et c’était parti pour 40 minutes de marche.

Me Julie KEVER (JK): Tourmentée. Je suis arrivée à La Haye le 26 juin 2014 pour rencontrer le propriétaire de mon futur logement. Confiante et boostée par les perspectives de cette nouvelle aventure, la voiture pleine de valises, j’ai rapidement déchanté. La loi de l’offre et de la demande, un grand nombre de stagiaires, des propriétaires peu scrupuleux, j’ai dû faire demi-tour. Heureusement, la deuxième tentative fut plus fructueuse… J’ai partagé l’appartement avec une Italienne, un Américain, une Camerounaise, un Français, un Pakistanais, un Chinois et un Grec. Tous les matins, nous quittions notre appartement au bord du port de La Haye pour enfourcher, au seuil de la porte, en bons Hollandais, nos vélos, et nous aventurer (tant bien que mal) dans le monde des cyclistes, un vrai dépaysement.

 

 

 

Le premier jour au Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie fut …

AA : Technique et surprenant. J’ai, à cette occasion, très vite été familiarisée avec le staff. J’ai rencontré ma super boss, elle était là pour accueillir chaque stagiaire individuellement. Une fois le cadre dressé, les formations requises réalisées (lectures, contexte historique de la guerre, statut du TPIY, règlement de procédure, vidéos) le travail pouvait donc commencer.  J’entendais les stagiaires dire que nos bureaux étaient situés au «Basement» mais que d’autres, plus expérimentés – eux – avait la chance d’être au « Main ». Ainsi, je suis descendue dans les sous-sols du TPIY pour m’installer dans mon premier bureau et, surprise, j’y ai retrouvé, par hasard, deux de mes amies déjà bien installées.

Un passage obligé : le contact terrifiant avec l’I.T. Ce monsieur vous configurait tout : téléphone, internet, adresse mail, serveur. Seul problème : il faisait tout ça dans un anglais trop informatisé et par téléphone. J’étais noyée de codes, d’informations.

C’est enfin avec le sourire que j’ai rejoint, quelques mois plus tard, le « Main », à la lumière, pour devenir assistante du Président de la Trial Chamber III.

JK : Tel l’atterrissage sur une autre planète. Le lundi, 7 juillet, j’ai commencé mon stage au tribunal international après un tour obligatoire dans la boutique de cadeaux. Quand j’ai franchi les portes de sécurité du tribunal pour la première fois, et toutes les fois qui ont suivi, j’ai eu l’étrange sensation d’entrer dans un univers autonome et étranger au monde extérieur. Un microcosme composé d’un procureur et de plusieurs juges, de nombreux avocats, juristes, interprètes, policiers, secrétaires, plus de 500 personnes issues de 70 pays différents, parlant anglais et le « BCS » (terme créé au sein du tribunal pour désigner la langue bosniaque, croate et serbe), tous réunis autour d’un seul dossier, celui des crimes humanitaires commis pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Une tâche énorme et de longue haleine, le tribunal œuvrant depuis plus de vingt ans, un univers régi par des règles de fonctionnement propres aux Nations-Unies, une mini-société dans la société, et, au beau milieu, une petite stagiaire belge: un peu surréaliste comme situation.

L’expérience professionnelle fut …

AA : riche, plurilingue, multiculturelle et…bureaucratique. Certains mots résonnent encore après ces quelques années : notes de bas de page, résumés de témoignages, confidentialité, confidentialité et encore confidentialité.

Au-delà de tout l’apprentissage, j’ai cependant parfois eu le sentiment d’une bureaucratisation trop importante, une mobilisation excessive pour des objectifs moins importants mais sans doute nécessaires au bon fonctionnement du Tribunal. A travers les stagiaires l’on s’aperçoit aussi des moyens financiers trop limités pour les droits de la Défense: les stagiaires de la Défense ne bénéficiant pas – comme les autres des Chambres, du Procureur ou du Greffe – des mêmes bureaux.

Un dernier souvenir me revient : lorsque tous les stagiaires mangeaient tranquillement à la cafétaria, nous avons entendu des applaudissements, des cris de joie… l’arrestation de Ratko Mladić… encore un autre bout de l’Histoire.

 JK : interpellante et fascinante. A la différence de la plupart des stagiaires qui travaillaient pour l’accusation au sein d’une équipe de professionnels chargée de la gestion d’un procès particulier, j’ai rejoint le cabinet du Procureur, Monsieur Serge Brammertz, investi de la représentation du Bureau du Procureur, de la préparation de discours, et de la rédaction de projets doctrinaux divers. Ainsi, j’ai pu réaliser de nombreuses recherches et rédiger des rapports sur des sujets très variés, tels que l’évolution du concept de responsabilité des supérieurs hiérarchiques à la lumière de la jurisprudence du tribunal, l’immunité des casques bleus et les violences sexuelles dans les conflits armés.

J’ai découvert le fonctionnement d’une juridiction internationale, l’importance du rôle joué par chacun des très nombreux acteurs de ce système complexe et la relation « ambiguë » entre ces acteurs. Alors qu’au sein de l’accusation, l’équipe était soudée, la méfiance et la crainte d’une divulgation d’informations confidentielles régnaient envers les membres de la Défense, et même des Chambres. Chaque section disposant de couloirs séparés, protégés par un accès restrictif, il est formellement interdit de partager des informations dans les locaux communs et ouverts au public, et moins encore de transférer un document sur une clé USB: à en devenir quasi paranoïaque.

Lors de mon stage, le procès de Radovan Karadzic touchait à sa fin. Un nombre invraisemblable de stagiaires ayant passé plusieurs semaines, jusque très tard le soir, à vérifier les notes de bas de page et le référencement aux sources citées, ce fut le soulagement général lorsque les dernières conclusions (plus de 1000 pages) étaient enfin déposées mais aussi l’anxiété à l’approche des plaidoiries de clôture. Les jours de plaidoiries, nous étions tous devant nos écrans ou dans la salle d’audience, fascinés, émus et très contents du travail « monstrueux » accompli par toutes les personnes qui se sont consacrées à ce procès historique depuis 2009.

La vie d’expat’ fut …

AA : Incroyablement internationale. Mes plus belles amitiés sont d’ailleurs nées à La Haye. Venant des 4 coins du monde, Etats-Unis, Colombie, France, Suisse, Australie, Philippines, Zimbabwe, Pays de Galle, Pays-Bas, Ecosse, Serbie, nous étions tous ensemble, par hasard, au même moment, au même endroit pour partager un bout de l’Histoire. Mais je me souviens que les Pays-Bas c’est aussi, les champs de tulipes, les kassouflés (croquettes de fromage du pays), la mer et ses mouettes.

La Haye, aujourd’hui, ça me rend nostalgique. L’aperçu que j’ai néanmoins pu avoir de la vie à plus long terme, c’est un peu le même ressenti exprimé par Julie, « un univers autonome et étranger au monde extérieur ».

JK : Enrichissante. La Haye, le centre du droit international, un univers cosmopolite, est néanmoins une ville où les Hollandais ont gardé leurs habitudes et refusent d’en changer. Certaines attitudes ont ainsi laissé les expatriés bouche-bée. Les Américains étaient par exemple offusqués que les Hollandais leur refusaient, quasi systématiquement, l’eau du robinet gratuite et encore plus systématiquement leurs cartes de crédit (ouvrir un compte aux Pays-Bas, un must pour pouvoir payer par carte et effectuer des virements, vive la mondialisation !), alors que d’autres « rites », comme ceux du vélo, du hareng à midi et des apéritifs à la Heinecken ont été adoptés à l’unanimité.

Je garde un magnifique souvenir des débuts de soirée sur le grand balcon du tribunal, où s’organisaient, tous les vendredis, les soirées d’adieu des stagiaires partants. Ce furent des moments privilégiés d’échanges mémorables, en compagnie de toute l’équipe, et même des supérieurs et chefs d’équipe.

Les leçons que j’ai pu en tirer furent …

AA : Nombreuses. Un tel stage est une expérience à vivre…que je conseille…le travail mené par toutes les équipes de toutes les sections se fait sans relâche et poursuit l’achèvement des travaux du TPIY.

JK : Nombreuses aussi. Au départ, je craignais une désillusion vu la machinerie extrêmement lourde et complexe. Très vite, j’ai été rassurée et positivement inspirée par l’optimisme et la résolution de tous les intervenants professionnels et par l’enthousiasme de confrères stagiaires à la perspective de pouvoir apporter leur soutien à l’avancement de l’histoire et de la justice internationale.

J’ai eu l’occasion de participer à de nombreuses conférences organisées par le tribunal et, entre autres, à celle de Monsieur Bob Reid, un avocat australien qui travaille au tribunal depuis sa création, au cours de laquelle il nous a relaté ce qu’il a vécu en Bosnie, en 1994, en tant que membre de la commission d’enquête. Il nous a parlé du défi de la collecte d’informations dans un pays en guerre, de la collaboration, souvent très complexe, avec les autorités locales, de la recherche de témoins et de la découverte accablante de fosses communes en décembre 1995. Vingt ans après les premiers constats, Monsieur Reid nous a transmis un message d’optimisme et de détermination, conscient des failles, mais fier des accomplissements.

J’ai rencontré des Serbes, des Croates et des Bosniaques. Lorsque la guerre a éclaté, en 1991, j’avais 3 ans. C’est en 2014, à l’âge de 26 ans, que j’ai fait la connaissance de ressortissants de l’ex-Yougoslavie, et c’est à travers le contact avec ces jeunes gens profondément marqués par leur histoire et avides de réponses face aux évènements qui ont meurtris leurs pays que la raison d’être du tribunal a pris tout son sens …

Le tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie, plus de 20 ans plus tard …

JK : Depuis sa création, 161 inculpés ont été arrêtés (il ne reste aucun fugitif), 74 d’entre eux ont été condamnés, 18 acquittés, 20 sont actuellement encore détenus à La Haye dans l’attente du jugement, 36 sont décédés ou ont vu les charges retirées et 13 ont été déférés devant des juridictions nationales.

En février 2015, alors que les derniers procès sont en cours, le tribunal réduit son activité. Auparavant, il employait 569 personnes issues de 69 pays différents, un budget de 179.998.600 $US uniquement pour l’année 2014-2015.

Même si, face à ces chiffres, le doute quant à la proportionnalité des frais engagés s’installe dans la tête du commun des mortels, de nombreux experts sont aujourd’hui plus que jamais convaincus du bien-fondé et de l’avenir de la justice internationale.

Monsieur Benjamin Ferencz est une de ces personnes, et certainement une des plus emblématiques. Je dois avouer que j’ignorais l’existence de ce grand (très petit) Monsieur de 95 ans, dernier Procureur survivant des procès de Nuremberg. Il ne laisse pas indifférent. Né en Transylvanie, Monsieur Ferencz a intégré l’armée américaine pendant la deuxième guerre mondiale, après ses études de droit, et a, à 27 ans seulement, il fut nommé Procureur pour les procès de Nuremberg, son premier procès. Pour lui, le leitmotiv de la justice internationale se résume en une seule phrase, qu’il ne cesse de clamer depuis la deuxième guerre mondiale: « law is better than war ». La justice, même si elle n’est pas à l’abri d’errements, et le droit, même s’il n’est pas infaillible, sont la seule réponse à la guerre et doivent toujours, sans exception, y être préférés.

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