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« Les Bonnes Manières » à la façon Isabelle de Rotschild
[caption id="attachment_2371" align="alignleft" width="300"] copyright: Dominique Houcmant | Goldo[/caption] « Interdiction de porter des jeans au bureau » était la consigne vestimentaire reçue par l’une de mes meilleures amies lorsqu’elle a commencé son stage au barreau de Bruxelles. Je me souviens avoir été choquée par le non-sens de cette interdiction –le jean peut s’avérer plus chic qu’un tailleur pantalon en polyester mal coupé de chez le géant suédois- mais également rassurée de ne pas être soumise à un tel diktat, la seule exigence qui semblait m’être imposée par mon patron étant de « bien présenter », notion très liégeoise que j’ai plus ou moins assimilée au fait de ne pas sentir trop mauvais, d’être bien peignée dans la mesure où ma tignasse le permet et… d’être bien habillée. Oui, mais c’est quoi être « bien habillé(e) » lorsqu’on entre dans la vie active de manière générale, et au barreau en particulier ? Autrement dit, y a-t-il un dress code, tel un système de règles tacites et non écrites, qu’il serait de bon ton de respecter dans notre profession ? La question est délicate, et me plonge moi-même dans un conflit interne, entre volonté d’affranchissement de règles idiotes d’une part et vieux réflexes réactionnaires et snob d’autre part. En effet, j’ai toujours été très intéressée et portée vers la mode qui, en son sens premier de ‘ce qui est conforme au goût du jour’, rend absconse toute tentative de théorisation ou de classification bien nette. A cela s’oppose le fait que, l’âge avançant aidant, et avec toutes les contraintes liées à une morphologie, changeante elle aussi, je m’aperçois désormais que certaines choses ne se font pas (si tant est qu’elles aient pu être faites), d’un point de vue vestimentaire. Un exemple relativement patent m’a tout récemment été rapporté. Une jeune stagiaire, venue plaider à une audience du tribunal de police (sans robe, donc), a attisé la curiosité du juge par le port d’un collier portant le doux message de « pétasse ». Interpellé, il l’a arrêtée dans sa plaidoirie, et lui a demandé si ce qu’il croyait lire était juste, ce à quoi la jeune fille lui a répondu « oh oui, tout à fait, mais j’assume ! ». (L’histoire ne dit pas si la « pétasse » était une autocritique, ou une invective à l’attention du Ministère public). Il y a, dans ce « j’assume ! », toute la provocation et la rébellion propres à la jeunesse, mais je ne peux pas croire que cette belle assurance n’ait pas été obscurcie par un sentiment de gêne lié au fait que le contenu du message (et je ne parle pas ici de celui figurant sur le collier de la demoiselle…) ait pu être décrédibilisé. Et pour avoir réfléchi à cette question pendant mes longues nuits d’insomnie (relativement rares puisque je dors plutôt bien, merci), je suis arrivée à la conclusion que, d’emblée, je bannirais toutes les tenues vestimentaires qui me décrédibiliseraient dans l’exercice de ma profession, ou qui feraient en sorte que l’on ne me témoigne pas le respect que je pense mériter. A chacun sa notion de la crédibilité et du respect, à chacun sa notion du goût, mais je m’imagine mal recevoir un client en jean troué ou en baskets fluos, débouler en expertise avec une jupe ras de la salle de jeux, arriver au Palais en clapettes de plage (pourquoi pas le bac à bières fourni avec ?), aller en réunion en tee shirt régressif à l’effigie de Bambi, ou encore plaider avec un collier arborant une insulte à propos de laquelle je pourrais alerter les associations féministes si on la proférait à mon encontre dans la rue. Bien sûr, cela est vieux jeu dans la mesure où tout cela n’est qu’apparence, et que le port d’une mini-jupe en jean déchirée avec une inscription « branleuse » (faisons un mix) n’est certainement pas le reflet d’un manque de compétence ou de qualification. Mais un autre aspect de « the importance of being well dressed » tient également, d’après moi, au fait que l’avocat représente son client. Cette mission particulière de servir de vecteur et de communicant n’implique-t-elle pas une attente légitime du client à ce que son avocat ne soit pas complètement débraillé ? Autrement dit, que par son discours et son attitude, l’avocat soit la « prolongation », ou une projection de lui-même ? Une autre anecdote m’a aiguillée sur cette voie. Un ami avait rendez-vous chez son notaire pour l’achat d’un bien immobilier. Le notaire lui a ouvert la porte (une erreur s’est volontairement glissée dans l’énoncé car un notaire n’ouvre jamais la porte lui-même) en tenue de « casual friday », jean - tee shirt, anticipation du jogging mou du weekend. Surpris par cette habitude (est-ce à dire que l’on travaille mieux en tenue décontractée ?), cet ami, pourtant peu conservateur, m’a confié qu’il avait trouvé bizarre de confier des centaines de milliers d’euros à un ado attardé… et qu’à l’avenir, il prendrait rendez-vous un lundi. L’habit faisant le moine, je m’attends à ce que mon garagiste porte une salopette bleue tachée d’huile de moteur comme dans les pubs Levi’s des années ‘90, mon chirurgien une blouse verte et des Croc’s (l’apanage modeux des médecins ou des femmes de ménage), que mon coiffeur n’ait pas le cheveu gras et pelliculeux, qu’un informaticien soit en baskets, et qu’un chef d’orchestre ait revêtu sa queue-de-pie. Réac’, vous avez dit réac’ ? C’est pas faute d’avoir prévenu ! Outre l’aspect introspectif, faisant référence à des curseurs personnels, de ne pas vouloir que la forme prenne le pas sur le fond, il y a donc, et on ne peut le nier, les attentes de l’extérieur, qu’il faut bien (hélas ! car c’est une abdication) combler dans une certaine mesure. Au fond, l’élégance consisterait à rester discret, à ne pas se faire remarquer de manière outrageuse. Elle serait alors mise au service d’objectifs plus nobles, servant la cause de l’avocat et de son client. Dans son Traité de la vie élégante, Balzac n’écrit-il pas : « L'homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot. La vie élégante n’exclut ni la pensée, ni la science; elle les consacre. Elle ne doit pas apprendre seulement à jouir du temps, mais à l’employer dans un ordre d'idées extrêmement élevée. » Gageons en effet que le sujet, aussi superficiel qu’il puisse paraître, puisse rencontrer notre sens aigu du devoir professionnel. Isabelle THOMAS-GUTT
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