Pastiche de Boileau par Corneille

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DU BARREAU C'est à tort qu'à la barre un astucieux parleur Croit de l'art de plaider atteindre la hauteur. S'il n'a considéré son dossier en tous sens, S'il n'a de toutes ses pièces perçu la pertinence, D'un propos trop banal il est toujours fautif. Pour lui la cour est sourde et le juge est rétif. O vous donc qui brûlant de gloires ambitieuses Courez de l'avocat la carrière scabreuse, N'allez pas à des mots futiles vous livrer Ni prendre pour génie votre goût de parler. Craignez des belles phrases ces vaniteux appâts Qui ne pourront jamais convaincre un magistrat. Le barreau, fertile en confrères excellents, Sait entre les plaideurs partager les talents. L'un peut séduire la juge par sa belle prestance, L'autre par ses bons mots dérider une audience. Lambert créait le droit en courtisant les lois ; Charles par ses rondeurs confondait la bonne foi. Mais parfois l'avocat qui se flatte et qui s'aime Met à mal son charisme et se détruit soi-même. Ainsi fût-ce flagrant qu'on vit avec Syster Se prendre pour Néron, Bonnot ou Lucifer, S'en aller fou d'orgueil et d'une ire démente Poser dans le palais des bombes détonantes Puis dédaignant ses pairs par des pourvois ratés Se faire par deux fois à la mort condamner. Quelque procès qu'on plaide, commercial ou civil, Que l'examen des faits s'accorde avec le style. S'il advient que l'un l'autre soient entre eux opposés Le style est un esclave et se doit de plier. Lors qu'à le préférer d'abord on s'évertue Le bon sens le rejoint quand on l'y habitue : Alors aux seuls mots vrais docile il se soumet Et loin de les nier s'en sert et les admet. L'avez-vous négligé ? - Ces mots passent moins bien Et le siège a regret d'un exposé commun. Quelque choix que l'on fasse en ce dilemme ardu Ce n'est que la raison qui sera reconnue. Sans être fourbe ou faux sachez être courtois. Que ce mode d'aimer toujours de bon aloi Soit d'abord apprécié par l'huissier de l'audience Comme se plaisent entre elles de vieilles connaissances. Qu'ensuite : en coûte-t-il de sourire à tous ceux Qui sont à tous degrés gens de votre milieu ? Loin d'être ce grossier pugilat des aigris Ou de ces coléreux friands de jalousie La justice se fait dedans cette amitié Qui porte le beau nom de confraternité. De qui sait appliquer l'art de la courtoisie Le prétoire peut donner du plaisir à la vie. Pourtant Jacques allumait une fougue insensée Et fi des convenances égarait ses idées. Il croyait s'abaisser devant le tribunal En admettant jamais que son dossier fût mal. Évitons les excès, laissons aux exaltés De tous ces coups de gueule les funestes effets. Tout doit être équilibre mais à le pratiquer La route est très étroite et pénible d'accès : Dès que l'on s'en écarte on regrette aussitôt De n'avoir pas assez réfléchi ses propos. Au pénal à l'envi l'avocat doit plaider Que dès son plus jeune âge l'accusé fut brimé Qu'il fut influencé par des parents mauvais Ou dont les actes odieux passaient tous les excès : Il vous décrit alors à force d'hématomes Pourquoi l'adolescent ne fut jamais un homme ; Il compte chaque coup, les gifles et les bleus, Les brimades, les mots, les gestes malheureux, Tous ces ratés sociaux tristes ou passionnels Qui font le quotidien de la correctionnelle. Qu'on en parle, d'accord mais qu'à les évoquer Jamais on n'en oublie la force du dossier. L'excès de pathétisme est toujours ordinaire S'il n'a pas consulté le casier judiciaire. Tout ce qu'on dit alors est plat ou décevant : Le magistrat lassé n'en fait pas jugement.

        Quant aux subtilités de l'avocat fiscal Si ce ne sont jamais que festons, qu'astragales, Il s'attaque à la taxe en termes si savants Qu'il est fort peu compris même par son client. Il obtient toutefois de brillants résultats Tels que le Ministère en serait aux abois. O très cher taxateur, craignez ces fins esprits Sachant en mots choisis pourfendre a priori Ces rages taxatoires et souvent abusives Qui ruinent et font tourment à l'esprit d'entreprise. Louons de ces plaideurs logiques et subtils Le pouvoir d'abolir tous ces impôts serviles Dont on doit désormais dire ou se demander Par quel souci social ils étaient justifiés. Têtu, ce défenseur trop plein de son objet Jamais sans l'épuiser ne quitte son sujet. Pour expliquer comment son client fit faillite, Il remonte à l'enfance et ses pulsions subites Dont les débordements avaient déterminé Une allergie chronique à tous les créanciers ; Puis qu'en l'adolescence plus rien ne s'arrangea Au point de ne pouvoir prétendre au concordat ; Qu'adulte devenu, il devint dépressif Jusqu'à dilapider l'ensemble des actifs. Je signe vingt jugements tant qu'il ait terminé Et la feuille d'audience que me tend le greffier. Qui ne sait se borner ne put jamais convaincre. Élaguez l'argument : de grâce, le restreindre ! Voulez-vous de vos juges avoir un jour l'oreille ? Que vos mots ne soient pas l'un à l'autre pareils. Un parler trop égal est toujours uniforme. Gérard plaidait ainsi jusqu'à ce qu'ils s'endorment. On suit peu l'avocat triste à nous ennuyer. Son long ronron s'éteint dans les bras de Morphée. Plus malin qui s'exprime en formules légères Passe du grave au gai, du plaisant au sévère : Son habile exposé convainc ses auditeurs Et du délibéré sort très souvent vainqueur. Un principe entre tous doit être respecté : Jamais à vos clients ne vous identifier. Combien pour s'être mis par trop à leur service En sont à leurs dépens devenus les complices ? Le bien le plus précieux est votre indépendance. Ne le sacrifiez pas au droit de la défense. S'il le faut à l'envi d'alléchants honoraires Préférez le respect de toute une carrière. Bien loin de témoigner d'un excès de faiblesse, Jauger la juste cause est un trait de noblesse. S'il s'en trouve toujours parmi vos concurrents Qui ne font embarras de ce fort sentiment, Laissez-leur cette aigreur de perdre le procès : La cour sait distinguer le bon grain de l'ivraie. Ne dédaignez pourtant les missions impossibles. Votre talent peut tout jusqu'à l'inaccessible. N'en usez qu'en passion, par fougue ou par plaisir : Il vous transportera plus loin que le désir De plaider, de briller, de plaire et de gagner, Mais ne planez pas trop au-dessus du palais. Quand on plaide aux assises, s'il faut être commun Clair, lucide et conforme aux journaux du matin, Prenez bien votre ton, soyez simple avec art, Convainquant sans orgueil, naturel et sans fard ; N'offrez rien aux jurés que ce qui peut leur plaire Et dans quoi les médias aiment à se complaire. S'il ne faut y donner jamais dans la bassesse Les canards ne sauront louer votre finesse : Ils se limiteront à mettre au premier plan Rien que les familiers de vos beaux arguments. Mais ne vous abîmez dans le sensationnel Jusqu'à faire oublier le triste criminel Dont vous avez mission de faire qu'il ne soit Pas moins que l'occasion de vanter votre moi. Madame Vanité peut n'avoir plus de frein Et c'est vous que l'on juge dans tous les quotidiens. Cette aura peut saisir le plus bel orateur : Untel croyait ainsi s'offrir tous les honneurs. Fuyez les mauvais scoops, le besoin de paraître Et ceux-là qui professent de ruiner le bien-être. Restez dès lors vous-même surtout en cette arène Où l'on déballe tant de faiblesses humaines. Corneille Bastjaens

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