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La peine de mort, l'erreur judiciaire et l'avocat
Parmi les arguments qui militent en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort, il en est un qui, pour pragmatique qu’il soit, n’en est pas moins essentiel: il s’agit du risque d’erreur judiciaire, qui menace l’issue de tout procès, mais devient fatal lorsque la peine prononcée est capitale. De récentes études universitaires ont démontré que nombre de condamnés exécutés aux États-Unis étaient innocents, et que la peine de mort n’aurait pas été prononcée, si une information ignorée du jury lors de l’audience, avait été portée à sa connaissance. Un témoin qui révèle, des années après le procès, un détail essentiel passé sous silence, un test ADN qui apporte la preuve post mortem de l’innocence du condamné, le véritable coupable qui finit par consentir des aveux justifiés par un remord tardif, les membres d’un jury qui décident de révéler la pression dont ils ont été l’objet, la révélation d’une maladie mentale qui altérait les facultés intellectuelles de l’accusé… nombreuses sont les hypothèses qui permettent de réviser une décision rendue… à condition, c’est l’évidence, que le condamné n’ait pas été exécuté.
Les congrès mondiaux contre la peine de mort ont permis l’expression d’anciens condamnés, dont l’innocence a tardivement été reconnue, et dont la vie ne doit qu’à la suspension de leur exécution pendant plusieurs années. Ils furent tous émouvants, il est aisé de s’en convaincre. Ils furent aussi presque toujours - et peut-être faut-il voir là aussi l’impression que leur témoignage a fait sur l’auditoire - d’une grande sobriété et d’une réserve empreinte de dignité. J’ai parfois pensé que certains d’entre eux n’avaient pas été capables de faire face à une accusation qui dépassait tellement leur entendement, qu’ils étaient devenus des proies fragiles pour un système judiciaire parfois populiste et avide de condamnations à mort.
Au Japon, Iwao Hakamada vient d’être libéré après avoir passé 48 années dans les couloirs de la mort. Il avait été condamné pour le meurtre, commis en 1966, de la famille de son employeur. Il avait avoué les faits pendant l’enquête, revenant toutefois sur ses aveux à l’occasion de l’audience, expliquant qu’il avait été contraint par des policiers qui l’avaient interrogé sans relâche et avaient exercé sur lui une forte pression psychologique. Ce sont notamment des tests génétiques, réalisés ces dernières années, qui ont permis de douter de sa culpabilité. L’un des juges ayant prononcé la condamnation a présenté des excuses, regrettant de n’avoir pas dit plus fermement qu’il ne croyait pas en la culpabilité de Iwao Hakamada lors du procès. Glenn Ford, détenu depuis 29 ans dans un pénitencier de Louisiane, vient aussi de voir les portes de l’antichambre de la mort s’ouvrir devant lui.Il avait été condamné pour le meurtre d’un bijoutier, pour le compte duquel il effectuait des travaux de jardinage. Au cours d’un braquage, celui-ci avait été abattu. Glenn Ford avait été vu à proximité de la bijouterie au moment des faits. Il était, lors de son interpellation, en possession d’objets dérobés dans le magasin de la victime. Des témoins rapportaient encore l’avoir vu tenter de revendre une arme de même calibre que celle qui avait servi au crime. Ces éléments emportèrent la conviction du jury. Très récemment pourtant, un informateur a révélé avoir entendu un homme s’accuser de la commission du meurtre. Les autorités judiciaires ont alors déclaré que si ce témoignage avait été connu lors de l’enquête, Glenn Ford n’aurait pas été condamné.
Les deux exemples rappellent, s’il le fallait encore, que la justice est œuvre humaine et qu’elle est donc nécessairement faillible. Si les abolitionnistes convaincus estiment que l’incompatibilité théorique entre la justice et la mort se suffit en elle-même, il faut encore user du spectre de l’erreur judiciaire pour convaincre les plus réservés. Cet argument trouble en effet souvent ceux qui, estimant que la peine de mort n’est pas, en elle-même, illégitime, considèrent toutefois que son application ne peut se concevoir que si la culpabilité de l’accusé est certaine. Il n’existe pourtant pas, nous le savons, de certitude en matière judiciaire, quelques évidentes que puissent paraître les charges qui pèsent contre l’accusé, quelque puisse être l’impartialité du juge. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des systèmes judiciaires connaissent une procédure de révision. Glenn et Iwao ont échappé à l’exécution. C’est heureux. Leur libération, pourtant, entretient le souvenir de tous les innocents dont le sort fut plus funeste. Elle rappelle aussi l’importance du rôle que doit jouer le barreau en faveur de l’abolition, puisque nul mieux que l’avocat ne comprend la portée de l’aléa judiciaire.
Il existe bien sûr des raisons d’espérer: le nombre de pays abolitionnistes augmente chaque année et le nombre de condamnations prononcées diminue. Des mouvements abolitionnistes se structurent au sein de pays dans lesquels le sujet semblait difficile à aborder il y a quelques années. On peut citer notamment la Tunisie, le Maroc, le Liban, la Mauritanie… Les avocats doivent participer à ce combat en faveur de l’abolition et soutenir les coalitions qui se créent dans tel ou tel pays rétentionniste. La première fois que j’ai été confronté à la peine de mort, ce fut au Burundi, quelques années après le génocide de 1993. Je défendais, devant un tribunal militaire, un jeune soldat qui, pris d’ivresse dans un cabaret, un soir de permission, et refusant de suivre un camarade qui l’exhortait à réintégrer la caserne, l’avait menacé de son arme et involontairement tué. Il était poursuivi pour assassinat et encourait la peine capitale. Je devais donc convaincre le tribunal, composé exclusivement de militaires, d’avoir à requalifier les chefs de la poursuite, pour ne retenir que l’infraction de coups mortels, punie d’une peine à temps. Le tribunal m’a finalement suivi et c’est heureux, mais combien sont ceux qui périrent sous le joug d’une justice expéditive parce que le jour où ils furent jugés il n’y avait pas d’avocat à leurs côtés? J’ai pris pleinement conscience, ce jour-là, de la dimension la plus extrême de notre métier. J’ai surtout compris à quel point la tâche des avocats qui exercent dans les pays rétentionnistes est infiniment difficile. Quelques semaines après l’issue de ce procès, je suis rentré en France, poursuivre l’exercice de notre profession, loin des tourments auxquels font face ceux de nos confrères qui sont régulièrement confrontés à la peine capitale. Ceux-ci, en revanche, ont poursuivi un combat parfois quotidien, qui ne peut nous laisser indifférents. Quelques années plus tard, j’ai participé à la défense, auprès de nos confrères mauritaniens, de 40 accusés qui encouraient la peine de mort, à l’occasion d’un procès politique organisé à Wad Naga, en plein désert. Alors que tous les observateurs étaient convaincus du sort fatal qui attendait les accusés, aucune peine de mort n’a finalement été prononcée. Il faut voir dans cette décision inespérée le résultat de la persévérance et du talent de nos confrères mauritaniens mais aussi, me semble-t- il, la conséquence de la solidarité qui s’est manifestée en cette occasion: plusieurs avocats étaient venus, de différents pays, soutenir leurs confrères, et je crois que ce front uni que nous avons formé au cours de cette audience a participé à son heureux dénouement. L’UIA est une association puissante, structurée, très représentative de la profession d’avocat à travers le monde. Elle peut et doit encore participer à ce combat qui ne peut nous laisser indifférents. Des missions d’observation, de formation, de soutien peuvent être organisées au profit de nos confrères encore confrontés à cette peine. Je pense aussi que l’UIA doit participer avec conviction aux travaux de la coalition mondiale contre la peine de mort, qui regroupe des barreaux, des ONG, des villes et des régions du monde entier et fédère les forces abolitionnistes. Son rôle peut y être essentiel. Il n’y a pas de plus remarquable combat, pour un avocat, que le combat pour la vie.
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