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Roland Dumas, le virtuose diplomate, l'avocacrobate
Sa vie est, sans nul doute, l’épopée d’un ténor de la politique française, lui qui fut l’hôte du Quai d’Orsay durant 10 ans, sous Mitterrand. On lui doit l’acte de réunification de l’Allemagne ou encore le traité de Maastricht, qui a fondé, en 1992, l’union Européenne. Il a servi. Tout ravi. Tout gravi. Les plus hautes marches de tous les palais du monde: Palais de Justice, palais royaux, républicains, ambassades, Opéra, palaces étoilés et Palazzo privés. A 91 ans, ne lui parlez pas de moralité: il a la sienne. Celle où tromperie sentimentale rime avec loyauté gouvernementale. Celle d’un homme libre, heureux et fier de l’être, et peut-être en cela, admirable comme le fut Casanova? Philippe Sollers n’en disconviendra pas. Ne faut-il pas autant de souplesse morale que de rigueur professionnelle en (real) politique actuellement? Dumas est du bois dont on fait les Stradivarius, de la trempe dont ont fait les lames de Tolède. Roland Dumas a accepté avec cet éternel sourire qui le caractérise, de lever un coin de l’inusable toge qu’il arbore depuis 1950, de lever les rideaux opaques du Quai d’Orsay et du merveilleux Opéra que furent sa vie publique et sa vie privée… vouée à cette passion: l’art lyrique. Paris et Vergès valent bien une Messe. Et Roland une chanson. En exclusivité pour l'Open Barreau, vous pouvez lire dans les colonnes qui suivent l'entretien extrêmement long et fouillé qu'il a accordé à notre confrère François Dessy et qui fera l'objet d'un livre à paraitre très prochainement. L'intégralité de l'interview est disponible au bas de l'article en format .pdf
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FD – Mon Cher Confrère, Votre dernier livre, "L’œil du minotaure, Le labyrinthe de mes vies", paru au Cherche Midi - maison d’édition sous la bannière de laquelle vous aviez déjà publié votre précédent livre "Coups et blessures", une brique autobiographique de 500 pages qu’on avait en son temps dévorée - nous fait découvrir une vie dédaléenne, labyrinthique, l’éblouissante destinée dont le fil (d’Ariane) en a croisé tant d’autres qui ont marqué l’histoire et nous emmène à l’Elysée; du Quai d’Orsay , sous les ors lumineux et dans les alcôves feutrées de la République jusqu’au confessionnal du Quai Bourbon, où se trouve votre Cabinet d’avocats… en passant par bien d’autre latitudes. Ce livre nous fait revivre certaines de vos plus belles rencontres, des rencontres "surnaturelles" dites-vous (page 190), déclinées chacune en chapitres, dont un justement consacré a Picasso, que vous qualifiez de "facétieux Minotaure" (p 79), ce qui rappelle irrésistiblement le titre de l’ouvrage.Un Picasso qui aime la vie, un Picasso que vous qualifiez volontiers de charmeur, self-made man aussi. C’est un stakhanoviste, hédoniste en alternance, allais-je dire, électron libre, conteur né selon vos mots, angoissé parfois nuitamment par certaines tracasseries judiciaires jusqu’à l’insomnie, dit-il, à l’instar d’ailleurs d’un autre dont vous recueillerez certaines confessions: Bernard Tapie. Picasso le conquistador, écrivez-vous (page 98). Culte du beau, belle femme… N’y-a-t-il pas un peu de Picasso dans Dumas, toute chose étant inassimilable par ailleurs? D’où peut-être cette étonnante complicité? RD – Hélas, je voudrais qu’il y ait beaucoup de Picasso, du Picasso dans le personnage de Dumas. Mais enfin, ne rêvons pas: les choses sont comme elles sont et les êtres sont comme ils sont. Ce qui m’a séduit - c’est très bien que vous en parliez en premier dans notre entretien -, ce qui m’a séduit, c’est le personnage hors dimension de Picasso. C’est quelqu’un dont on ne retrouvera pas le double d’ici des générations sans doute et c’était en même temps quelqu’un qui était tellement séduisant, fort dans sa silhouette, dans ses propos, qu’on ne peut l’oublier. Picasso, je l’ai rencontré probablement une bonne centaine de fois. J’ai été son avocat pendant 10 ans puis, après sa succession, je suis resté l’avocat de sa femme, sa veuve. Donc si vous voulez, j’ai baigné dans le Picasso pendant de nombreuses années.
FD – Il vous a donc laissé une empreinte, une marque indélébile. RD – Indélébile, et je trouve que j’ai eu énormément de chance de le rencontrer dans toutes ces circonstances. Ça m’a sans doute imprégné. On ne peut pas continuer à vivre comme si on n’avait pas rencontré Picasso, c’est aussi simple que ça. Picasso, c’est une sorte de monstre au sens étymologique du mot. On ne peut pas se séparer de ce compagnonnage quand on a vécu, comme j’ai vécu, parce que j’habitais chez lui. Chaque fois que je descendais le voir, je descendais à Nice, je prenais une voiture, j’arrivais tout de suite à Mougins, je sonnais à la porte, il me faisait ouvrir, il y avait les chiens qui hurlaient. Je restais là et, le soir, je couchais-là. Il venait me voir dans ma chambre et me disait alors "Alexandre",puisqu’il m’appelait Alexandre. FD - Vous voulez dire Alexandre Dumas? RD - Oui, bien sûr, ça c’était facile (sourire esquissé) – "Alexandre, ça va? Vous êtes bien? On a fait votre lit?" J’avais la chambre à côté de la sienne. Ce qui fait que le matin, on m’apportait mon petit déjeuner au lit et lui venait et disait "Venez, on va parler". Et je partais avec lui dans son atelier, donc c’était presque une vie commune avec Picasso. FD - La banalité de l’ordinaire en devenait extraordinaire, transcendée, sublimée… De quoi parliez-vous? RD - Il y avait tellement de choses qui venaient dans le débat, tantôt parce que quelqu’un voulait lui faire un procès, tantôt c’était la procédure que faisaient les enfants pour se faire reconnaître, enfin toutes sortes de procès, toutes sortes de raisons de se voir. Ce qui est par exemple amusant et qui va vous intéresser, c’était quand il me disait au bout d’un moment: "Ah Dumas, quand vous venez, je ne dors pas de la nuit". FD – Vous dites d’ailleurs (page 83): "Lorsqu’il recevait une lettre de moi, il la rangeait dans une enveloppe sur laquelle il dessinait un œil, ou écrivait Ojo en espagnol, ce qui voulait dire en langage Picassien: attention, important, il faut avoir l’œil (ou ne pas le fermer de la nuit)". RD- Je trouvais qu’il exagérait un peu, je lui disais "Ça s’arrange". "Oui, mais quand vous êtes là, au bout d’une heure, j’oublie que vous êtes avocat". C’était quand même un beau compliment. FD – Le plus beau pour ainsi dire. RD – Mais bien sûr. FD - Mais avec des clients aux petits oignons comme ça, ça peut se comprendre… Tous ne diraient pas ça (smiley facial). D’ailleurs, vous ne lui demandiez pas d’honoraires? Bien qu’Helmut Kohl, connaissant vos rapports avec le peintre, vous appelait l’avocat milliardaire? RD - C’était une plaisanterie! Mais il m’a offert quelques dessins dont un portrait de moi. Mais l’œuvre que j’affectionne le plus parmi sa collection est un "Portrait de Jacqueline". FD- Quelques petites "toile-ttes" d’habitude chasse gardée? C’est une toute petite dation en paiement ça, Maître Dumas. RD – N’est-ce pas? Mais pour répondre à votre question de départ, je lui parlais des affaires diverses qui se passaient. Mais le grand évènement a été notre rencontre au sujet Guernica, qui, comme vous le savez maintenant, est à Madrid et pour lequel j’ai eu avec lui de nombreux entretiens, des discussions, des choses à mettre au point, des allers-retours, des interrogations, etc.
"La guerre d'Espagne est la bataille de la réaction contre le peuple, contre la liberté. Toute ma vie d'artiste n'a été qu'une lutte continuelle contre la réaction et la mort de l'art. [...] Dans le panneau auquel je travaille et que j'appellerai Guernica et dans toutes mes œuvres récentes, j'exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l'Espagne dans un océan de douleur et de mort " (Pablo Picasso, mai 1937).
RD - Il m’a téléphoné, un jour, pour que je vienne le voir très vite quand Franco s’était manifesté auprès de son marchand pour lui dire "Que penserait Picasso de remettre Guernica à l’Espagne?"; Picasso a bondi et a dit à son marchand "Envoyez-moi Dumas, tout de suite". Je suis arrivé, il m’a dit: "Roland, il y a une seule chose: je ne veux pas que Guernica aille en Espagne". Non pas "rentre en Espagne" - car il n’y avait jamais été -, mais "aille en Espagne", tant que Franco sera vivant. "Faites tous les papiers". FD – Ce qui confirmait vraiment la signification hautement politique sinon révolutionnaire du tableau. RD – Oui, à mon avis, il plaçait la signification historique et politique bien avant la signification esthétique de Guernica, qui a été l’ouverture de la grande révolution picturale. Comme l’a écrit Malraux, les choses ne sont plus pareilles, après Guernica, à ce qu’elles étaient avant. FD - Est-ce en cela qu’il la considérait comme l’œuvre de sa vie? RD – C’est ce qu’il m’a dit. Il a commencé cette phrase "Je ne veux pas qu’on décide de son sort, c’est l’œuvre de ma vie". Il a même fait une allusion qui serait déplaisante pour ceux que je vais citer, mais peu importe, le temps a passé. "Les affaires, les procès des enfants, ce n’est pas important", l’air de dire "Tout ça, c’est la lie de la vie ordinaire de nos sociétés. Pour moi, ce qui est le plus important, c’est l’œuvre de ma vie, c’est Guernica". FD – Et pour vous, Roland Dumas, c’est une madeleine proustienne! Puisque ce tableau, vous l’avez découvert à l’Expo universelle de Paris de 1937 et il a excité votre curiosité d’enfant. C’est un souvenir quelque part…prémonitoire. RD – Oui, je l’ai toujours eu devant les yeux. Au début en photographie, puisque tout le monde connaissait Guernica. Peu de gens connaissaient l’histoire de Guernica. Elle s’est affirmée par la suite: le bombardement de cette population civile de Guernica, le jour du marché de la foire mensuelle. Tout le village détruit, sauf le chêne historique, qui est le chêne auquel les basques font référence. Le seul élément qui est resté intact dans le bombardement par les avions allemands, c’était ce chêne de Guernica. FD – Qui est devenu l’arbre chargé, vais-je dire, de la plus haute valeur symbolique. Nous fêterons justement nos noces de chênes avec Guernica - 80 ans de mariage - dans quelques temps… Et c’est aussi un clin d’œil de l’histoire à votre attention … Le chêne de Saint Louis[1], la Justice, votre île, votre profession, les idéaux de Guernica, la tradition de l’arbre planté à Matignon?
RD – Ce que vous dite est assez surprenant. Oui, ce symbolisme nous dépasse. Je dirais que pour ceux qui sont croyants, ils ont l’explication tout de suite. Pour ceux qui sont fatalistes, qui croient à l’histoire, ils peuvent se rallier à je ne sais quelle force invisible. Enfin, c’est un symbole, un symbole qui n’a pas manqué d’avoir une signification énorme à l’époque. FD – J’en reviens à mon interrogation introductive: vous parlez d’un charisme, d’une épaisseur toute particulière liée au personnage. Et surtout, chez Picasso, certains traits d’esprit, d’une ironie princière et mordante égalant la puissance évocatrice des traits de pinceaux, notamment quand il décoche cette phrase, trempée de curare, connue de tous, passée à la postérité, lorsqu’il est interrogé par l’ambassadeur à l’époque, Otto Abetz? RD – Il y a un peu d’inexactitude dans l’évènement, dans la façon dont vous le rapportez, mais ce n’est pas de votre faute. En réalité, ce sont des officiers allemands qui, pendant l’occupation, sont venus-là on ne sait pas comment. Quand même! Picasso, c’était la grande coqueluche, déjà depuis l’avant-guerre. Donc, ce sont des officiers allemands qui sont venus voir le tableau et qui auraient dit à Picasso, tout cela est rapporté par plusieurs témoins: "C’est vous qui avez fait ça?" Et Picasso se serait retourné vers eux et leur aurait dit: "Non, c’est vous qui avez fait ça". En montrant le bazar, la destruction. FD – C’était sa manière d’exécuter une œuvre et d’exécuter ses cibles? RD – Picasso avait la dent très dure. Quand il voulait exécuter ou une œuvre ou quelqu’un, il le faisait sans ménagement. Il avait plein d’anecdotes. Je me souviens, par exemple qu'un jour, il était harcelé par un peintre sculpteur qui venait lui présenter ses œuvres continuellement. Bon, Picasso, qui était gentil, ne voulait pas trop dire de choses désagréables, donc il a enveloppé les choses; l'autre était là, il posait des questions et continuait à vanter son œuvre et Picasso le regarde et puis fait quelques remarques comme ça et ce malheureux lui a dit "Ah oui, oui, oui, vous avez raison Pablo, il faut que je l’achève là, vous voyez?", "Oui, retournez chez vous et achevez-le vite". FD – Oui effectivement. On parle d’exécuteur, mon cher Roland Dumas, ce qui, évidemment, me fait songer à votre qualité. Puisque vous avez été exécuteur testamentaire aussi et, sauf erreur, de la succession de Picasso. RD – Oui, c’est vrai. FD - Vous êtes intervenu, vous l’avez dit, pour Guernica, et vous avez envoyé cette lettre capitale au MoMA (Museum of Modern Art) de New York. Pourriez-vous nous en dire quelques mots? Quelle est la condition que vous aviez posée? La condition de retour éventuel du tableau en Espagne? Est-ce la lettre qui finalement est une des plus importantes, sinon la plus importante que vous ayez adressée ? RD – Oui, c’est la lettre qui a été déterminante pour toute la suite. Parce que, comme je vous l’ai dit, la situation était compliquée pour la raison suivante: Guernica a été peint tout de suite après le massacre de la ville. Et puis la guerre est arrivée. Le tableau a tourné dans différentes capitales en Europe d’abord, pour procurer de l’argent, ce que voulait Picasso, pour le gouvernement républicain et puis, dans sa tournée, il était prévu que le tableau aille aux Etats Unis. Quand la guerre a éclaté, quand la défaite est arrivée en Europe et notamment en France, le tableau était aux Etats Unis. Picasso a dit "Et bien qu’il y reste", mais il était quand même très soucieux. Il avait trouvé un circuit, puisque l’Espagne - il était espagnol - était neutre, il avait trouvé un circuit pour prendre des nouvelles régulièrement. Il y a toute une correspondance qui existe avec le tableau, dans laquelle Picasso recevait des lettres du MoMA en disant que tout va bien, etc. Il s’en préoccupait beaucoup. Et puis arrive un jour cette lettre du Ministre des Arts et Lettres, des affaires culturelles d’Espagne, à Monsieur Kahnweiler, le marchand de Picasso à cette époque, qui dit: "Ne pourrait-on pas penser au retour?"
FD - Et c’est là que ressurgit notre mousquetaire judiciaire? RD - Picasso a dit "Envoyez-moi Dumas". Je suis parti dans l’avion du jour. Les choses se sont passées comme ça: je suis arrivé là-bas - j’ai d’ailleurs une belle photo où nous sommes sur son banc de pierres tous les deux et il me regarde. On a commencé à faire les travaux, et j’ai expliqué à Picasso que le droit ça existe, le droit public international aussi et que les gouvernements du jour sont supposés succéder aux gouvernements d’hier. "Il n y a pas de risque tant que vous êtes vivant. Personne n’osera s’opposer à la parole de Picasso"." Si je dis que je ne veux pas que mon tableau rentre en Espagne, il n’y rentrera pas". "Le vrai problème", lui ai-je dit, "c’est le jour où vous allez disparaître. L’idéal serait de faire un testament". "Ah! Non je ne veux pas faire de testament, si je fais un testament, je signe, je meurs le lendemain. C’est comme dans Balzac, vous êtes comme Balzac". FD – Balzac, coïncidence avec le chef-d’œuvre absolu niché dans la Rue des Grands Augustins… RD - Qui est la rue où se trouvait l’atelier de Picasso à Montmartre. FD – Exactement. RD - C’est un merveilleux endroit qui respire la spiritualité. Et j’ai donc cherché, j’ai pris conseil et je lui ai dit qu'il n’y avait qu’une solution parce que lui il voulait que je dise dans un acte que le tableau appartient au peuple espagnol. Mais dire ça, ç’eût été le faire appartenir à la République; si je disais ça, ç'aurait tout de suite voulu dire que Franco était en droit de le réclamer, en tout cas, il pouvait soulever le problème. FD – Picasso se serait retourné dans sa tombe. RD – Alors, j’ai inventé dans l’acte testamentaire la formule suivante: tant que Picasso serait là, c’est lui qui déciderait, il n’y avait pas de controverse. Le jour où il disparaîtrait, il fallait désigner quelqu’un. Alors là, la scène la plus, comment dirais-je, la plus dramatique, la plus tragique, de notre relation, c’est quand on a discuté sur le petit banc de pierres, là où il y a la photo qui a été prise. Je lui ai dit: "Pablo, il faut désigner quelqu’un". Alors on a réfléchi. "Il y a bien des proches qui ne vous trahiront jamais?", "Mon coiffeur!", il était de la même génération que lui... FD – Oui, oui, tout à fait le barbier …de Vallauris et non de Séville! RD - Le barbier fait la guerre d’Espagne contre Franco. Il m’a dit "Non, non!". Je lui suggère les femmes, Jacqueline. "Non, non, pas les femmes!". Et puis d’un seul coup il se redresse et il me dit "Ce sera vous!", comme ça, comme je vous le fait (Roland Dumas me pointe du doigt). C’est une bouffée, une bouffée de chaleur qui vous arrive, je n’ai pas pleuré, je ne pleure pas facilement, mais j’ai eu les larmes aux yeux.
FD – Suprême gratification! Vous n’étiez plus son avocat mais finalement tellement plus son homme de confiance absolue. Hommage et émotion…! RD - L’émotion provoquée par quelque chose, entre nous, c’était inattendu chez moi. Et bon! J’ai dit: "Ce sera comme ça". J’ai préparé l’acte et c’est cet acte qui existe toujours et dont j’ai l’original. Je le donnerai à l’Etat espagnol, vraisemblablement. Je le garde tant que je suis vivant, tant qu’il peut y avoir des controverses. La lettre envoyée au MoMA disait en substance ceci : En 1939, j’ai confié à votre musée le tableau connu sous le nom de Guernica. Vous avez accepté de remettre le tableau quand les libertés publiques seront rétablies en Espagne. L’unique condition mise par moi à ce retour concerna l’avis d’un juriste. Le Musée devra préalablement à toute initiative demander l’avis de Roland Dumas et le Musée devra se conformer à l’avis qu’il donnera. Il s’agira d’apprécier si les libertés publiques ont été rétablies en Espagne. Signé Picasso. FD - Le sort de Guernica fut placé entre vos mains. Comment a réagi le MoMA? RD - Le MoMA - où était le tableau depuis avant la guerre - a été remarquable. Son directeur de l’époque nous a dit: "Nous, nous ferons ce que demandera Picasso". Ils ont été extraordinaires de compréhension. Un jour, je me trouve là-bas, chez Picasso, avec les directeurs du MoMA. Et Picasso leur dit "Attendez!", sans dire de quoi il s’agissait. Il est parti dans ses réserves faisant tinter ses clefs dans son pantalon et il revient au bout de dix minutes avec une sculpture de la Guitare de 1927, cubiste. Et il a ajoute: "Voilà, ça je vous la donne, pas pour vous, mais pour le MoMA, en remerciement de ce qu’ils ont fait pour Guernica durant toute la guerre". Il leur a donné devant moi. Elle est toujours là-bas. Et j’ai compris à ce moment-là qu’il avait choisi une guitare cubiste qu’il avait faite, qu’il avait réalisée, parce qu’il n’y en avait aucune dans la collection de New-York. Il savait. Il le savait tout. Picasso avait songé que c’était quand même un cadeau qui doublait sa signification. Vous pourrez lire le reste de l'interview, récemment étoffée et actualisée dans le livre dont elle fera l'objet : François DESSY "Roland Dumas, le virtuose diplomate, l'Avocatcrobate", Edition de l'Aube, Paris, La Tour d'Aigue, 2014. A paraître au mois d'août 2014.
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