J'ai testé pour vous: être avocate

Article

Il y a peu, un congrès s’intéressait à l’avocat de demain : que serons-nous dans trente ans ? Question farfelue pour quelqu’un comme moi, notoirement connue pour n’avoir comme plan d’avenir que « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? » ou « y’a quoi ce weekend ? ».

Que dire à propos de l’avocat d’aujourd’hui ? J’ai fait cet exercice hautement périlleux de tenter de me définir, socialement, voire même amoureusement, en tant qu’avocate. Et le bilan est celui-ci, douloureusement implacable : je ne suis pas fière de ce que je fais.

Entendons-nous, j’aime mon métier. Et lorsque j’évoque l’absence de fierté de ce que je fais, je ne vise pas la qualité de mes prestations (que j’estime humblement de correcte à bonne), j’évoque ici exclusivement la manière dont j’estime être perçue.

[caption id="attachment_2371" align="alignleft" width="300"] src= copyright: Dominique Houcmant | Goldo[/caption]

Je m’étais déjà surprise à constater que je redoute systématiquement l’idée d’être confrontée, lors d’une conversation badine avec des inconnus, à la question « et toi, tu fais quoi dans la vie ? ».  A de très nombreuses reprises, je me suis contentée de répondre « juriste », ce qui n’est pas tout-à-fait faux, mais ce qui n’est éminemment pas vrai. Car je suis AVOCATE. Alors quoi ? Qu’est-ce qui me retient à ce point ?

Cette retenue est, je pense, liée à tous les préjugés qui entourent encore la fonction d’avocat. Nous demeurons encore largement une idée reçue pour qui n’a jamais été confronté à la justice. Et croyez-moi, cette idée reçue est encore plus lourde à porter lorsqu’on est une femme, jeune et indépendante.

« Ah oui mais toi, tu gagnes bien ta vie », me suis-je ainsi vue asséner à des dizaines de reprises. Cette sorte de manichéisme qui divise le monde en deux catégories : l’avocat qui gagne bien sa vie et le reste du monde du travail qui galère. Il est inutile de tenter de convaincre celui qui ne veut pas voir que 80% du Barreau ne gagne pas bien sa vie. Ou en tout cas, tout juste pour payer ses factures et charges tous les mois. Autour de moi, je constate davantage l’angoisse de mes confrères, devenue mode de vie, de savoir comment on va payer ses cotisations sociales, plutôt qu’une existence faite de séjours à Courchevel et à Saint Barth’. Mais pourquoi diable voudriez-vous que le commun des mortels s’en rende compte, alors que le barreau lui-même fait un quasi black out total sur ce phénomène de paupérisation du Barreau ? Certes, il n’y a pas lieu de tomber dans le misérabilisme non plus : nous appartenons à une classe moyenne (très) relativement épargnée. Mais il n’est rien de plus vexant d’être jugée sur un niveau de vie supposé, voire même largement fantasmé.

[caption id="attachment_3211" align="alignleft" width="300"] src= Vidéo: Les professionnels / avocat[/caption]

« Ah oui mais toi, tu veux toujours avoir raison sur tout », ce qui, du reste, n’est pas absolument inexact. Nos déformations professionnelles nous affectent jusque dans notre vie privée, les disputes tournent en plaidoiries, le discours (puisqu’il s’agit plus d’un discours que d’un véritable dialogue) est disséqué, l’argumentaire est rôdé, la faille est traquée. Sauf qu’à ce jeu-là, personne ne gagne, personne ne perd, car il n’y a aucune personne extérieure, tierce et impartiale, à convaincre. On ne fait que tourner en rond, lorsque personne ne veut baisser sa garde ni reconnaître ses erreurs. Il est encore long, le chemin à parcourir pour que nos conclusions ne soient plus érigées en vérité absolue.

« Ah oui mais toi, tu es avocate » : c’est de loin l’attaque qui me blesse le plus, tant elle stigmatise, en une expression, toutes les tares que notre profession devrait supporter. Il y a, dans l’usage de ces mots, un sinistre mélange de condescendance, de frustration, de dégout et de fascination retenue. Mais combien de temps devra-t-on se justifier ? D’avoir fait des études, d’avoir trimé pendant trois ans de stage en étant sous-payé, d’avoir des moments de réussite (parce qu’il y en a, et qu’on n’ose pas les savourer), mais également des moments de doute. Combien de temps avant de pouvoir rétorquer avec indifférence et aplomb « oui, je suis avocate, et alors ? ».

Je n’aime pas l’idée qu’un métier puisse nous définir en tant qu’individu. Il y a tellement d’autres choses que je préférerais que l’on retienne de moi plutôt que le fait d’être avocate. Si je n’arrive pas à m’en vanter, c’est parce que la fonction n’apporte en elle-même aucun apparat ni attribut. Il n’y a pas de privilège à être avocat. Il n’y a que des chances de pouvoir exercer des métiers qu’on aime et qui nous permettent de gagner notre vie.

Isabelle Thomas-Gutt

Ajouter un commentaire

Texte brut

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
This question is for testing whether or not you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.