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Le prix des anciens présidents de la CLJB. Une réflexion en marge de la cérémonie.
En novembre 1990, les anciens présidents de la Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège ont créé un prix visant à distinguer toute réalisation d’un journaliste en matière de justice, révélant son souci de donner une information respectant les Droits de l’Homme et en particulier la vie privée, la réputation et la présomption d’innocence des personnes mises en cause. Concrètement, il s’est toujours agi jusqu’alors de primer une réalisation, davantage qu’une personne, mettant en lumière et en exergue le principe de la présomption d’innocence.
Ainsi, ont été primées les contributions de journalistes Belges de la presse écrite tels Alain Heyrendt (La Libre Belgique) en 1998, Philippe Toussaint (le Journal des procès) en 2001, Marie-Cécile Royen (Le Vif-L’Express) en 2004… Pour la presse audiovisuelle, ont été récompensées les contributions de Jocelyne Leroy (RTBF Liège) en 1993 et celle d’Hugues Lepaige (RTBF) en 1996. Plus rarement, c’est un livre qui fut primé, ainsi, en 1994, « Le bûcher des innocents », publié par Laurence Lacour chez Plon.
Décerné une dizaine de fois depuis sa création, le prix n'a pas toujours été systématiquement attribué, faute de consensus dégagé. Il suscite souvent bien des débats entre anciens présidents lors des discussions menant à son attribution. Certains considèrent en effet que l’objectif poursuivi par ce prix n’est que trop évident et que le principe de la présomption d’innocence ne doit pas être rappelé tant il va de soi. D’autres au contraire estiment qu’il s’agit là de la raison d’être du prix et son credo et qu’il n’y a pas de raison de s’en départir.
L’actualité nous rappelle sans cesse l’importance capitale de la question de la présomption d’innocence et des implications pratiques – et parfois dramatiques – qu’elle engendre. Récemment, l’affaire mettant en cause un député wallon a donné lieu à toutes sortes de suppositions et de supputations, malmenant faut-il le dire l’essence même de ce principe. C’est dans ce contexte particulier que cette année, il a été décidé d’attribuer le prix, le 11ème, à Francis Van de Woestyne, rédacteur en chef de La Libre, pour son éditorial publié le 4 novembre dernier en pleine ascension de la tourmente Wesphael.
Au terme d’un billet somme toute assez succinct, Francis Van de Woestyne entendait fustiger la dérive médiatique en rappelant les principes fondamentaux de la présomption d’innocence et le respect dû à la vie privée. Comme tel, son éditorial n’offrait rien d’exceptionnel, ni dans la forme, ni dans son contenu. Il nous rappelait simplement la raison d’être d’un droit fondamental qui, à nous juristes, paraît élémentaire. Le mérite du texte tenait davantage au fait même d’avoir été écrit dans la tempête et d’être destiné à un public lambda qui, à en juger par la teneur du courrier des lecteurs, ne tient pas pour acquis la présomption d’innocence comme nous aimons, nous, la cultiver.
Curieusement, le propre journal de Francis Van de Woestyne offrait dès le lendemain de la publication de son éditorial une série de photos montrant, en gros plan, Bernard Wesphael en chambre du conseil. « Suivez le feuilleton » commentait implicitement la légende qui les accompagnait. Duplicité de la presse majoritaire et du double langage qu’elle manie si bien. Sa promptitude à mettre le feu et l’empressement soudain dont elle s’affuble pour jouer les pompiers…
Sans doute faudrait-il revoir la notion de présomption d’innocence, non pas dans son fondement juridique ou dans ses développements judiciaires – ils doivent demeurer acquis – mais dans la façon dont elle est perçue à travers les médias et plus singulièrement à travers les nouveaux médias. Depuis l’affaire O.J. Simpson, elle a été fortement estropiée et, à juste titre selon moi, relativisée. A l’ère de l’information virale, les occurrences du crime filmé, dont les séquences sont parfois captées en direct, sont de plus en plus fréquentes. Elles ébranlent la mécanique même de la présomption d’innocence. Par ailleurs, cette présomption suppose un temps de latence, un temps de répit dont s’accommode mal le cours du temps des événements médiatisés.
Alors, quid de notre prix ? De notre modeste et humble prix ? Peut-être nous faudrait-il nous donner le temps d’une réflexion ? Histoire de le confronter aux nouvelles réalités médiatiques qui, qu’on le veuille ou non, s’imposent à nous. Idéalement, selon moi, le prix devrait sortir du cadre étriqué de la présomption d’innocence car, en poursuivant ce créneau dont nous creusons le sillon à satiété, nous ne cessons de nous regarder entre nous et ne faisons que nous flatter nous-mêmes.
Peut-être nous faudrait-il récompenser la prochaine fois un article de fond, à l’instar du travail soutenu et fouillé d’Ignacio Ramonet (Le Monde Diplomatique) qui démonterait et dénoncerait, à l’endroit de la présomption d’innocence, le mécanisme hypocrite de la presse, qu’elle soit télévisée, écrite ou digitale ?
Peut-être nous faudrait-il aller plus loin encore ? Sortir des salons convenus où trônent en maître les congratulations réciproques. Dire non aux solutions consensuelles plan-plan qui ne peuvent nous satisfaire entièrement car elles sont trop à l’image du journalisme belge dominant : morne et sans dissidence. Soutenir quelqu’un qui quelque part dit quelque chose avec des couilles et une âme.
Relisez les archives de notre barreau. Jamais il ne s’est intéressé à Nelson Mandela durant son incarcération alors qu’il était pourtant un de nos confrères et qu’il prêchait justement les principes que nous n’avons de cesse de sermonner. Plus récemment, jamais personne au sein de ce même Barreau ne s’est intéressé à Marwan Barghouti que Nelson Mandela n’a eu de cesse de soutenir dans son combat contre un autre apartheid, celui-là même qui se déroule sous nos yeux méditerranéens.
Ma position est isolée et isolationniste, je le concède, mais elle n’est pas irréaliste. A défaut de sa révision, je suggère de sortir du cadre étréci de notre petit règlement. Décernons tant qu’il est encore temps le prix à Edward Snowden qui n’est pas journaliste et qui n’a écrit au demeurant aucun article sur la chose judiciaire mais dont la démarche salvatrice s’avère un véritable brûlot, engageant une réflexion urgente sur ce que sont et seront demain les grandes libertés à l’aune des empires politico-militaires. C’est de nos droits fondamentaux et de leur impérieux maintien dont il y va.
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