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J’ai testé pour vous : rater le cocktail du Bâtonnier
L’agitation fébrile est perceptible dès le mois de mai et se concrétise par la question suivante : « c’est la petite ou la grande réception cette année ? ». La petite réception, celle des happy few (du moins, le pensent-ils), sombres détenteurs de quelconque charge dans une toute aussi occulte commission du Barreau, versus la grande réception, celle de l’avocat quidam, à laquelle l’on se presse, une année sur deux, pour saluer avec la déférence obligatoire notre nouveau bâtonnier ainsi que le nouveau président du Jeune Barreau.
Il y a, dans ce genre d’évènement, un peu de l’euphorie, des brushings apprêtés et des tenues chics de la garden party de l’Élysée du 14 juillet au lendemain des élections présidentielles, à la seule différence qu’en l’espèce, elle ne succède pas à un climat de tension ou de suspense lié à l’incertitude des résultats, et qu’il n’y a pas de place pour l’auto-congratulation à avoir été élu à un poste qu’on était seul à pourvoir.
Au Palais de Justice, haut lieu des méditations humanistes multiséculaires s’il en est, l’on s’interroge sur ce qu’on va bien pouvoir porter au cocktail du Bâtonnier, s’il faut vraiment faire un cadeau, si l’on aura le temps d’aller chez le coiffeur, et surtout… si le buffet vaudra le déplacement.
Cet engouement à retrouver cet esprit corporatiste et autocentré, cet empressement grégaire à fréquenter une fois de plus ses petits camarades m’est apparu, avec le cynisme qui me caractérise, comme le meilleur prétexte pour fuir ce type de manifestation, mais m’a surtout renvoyée à la question de la sociabilisation de l’avocat en dehors de son petit habitat naturel.
Le pitch est le suivant : on est un soir du mois de juin, un vendredi bien mérité après la semaine de labeur, le soleil décline doucement sur les terrasses, la ville s’anime pour les fêtes de la musique, les oiseaux enrobe les sens de leurs chants, mais non, toi, avocat, tu ne vas pas en profiter, tu vas t’enterrer au Cadran pour y retrouver ton train-train quotidien.
Que cherche l’avocat qui se rend à la réception du Bâtonnier ? Y a-t-il là un syndrome du Bal de Prom’, façon dernier rendez-vous de l’agenda scolaire avant les grandes vacances, avant la « grande séparation », où il s’agit de mesurer sa popularité ? Le Bâtonnier et le Président du Jeune Barreau, nouvellement élus, sont-ils nos reines et rois de la Promo, secrètement jalousés par certaines, adulés par d’autres ?
Le format de l’invitation sur papier crème cranté, la tradition de faire un cadeau à nos nouveaux élus, de même que la haie d’honneur formée par ceux-ci pour recueillir les hommages et félicitations des invités, sont autant d’éléments qui rappellent le cérémonial du mariage.
Entre l’affirmation de la fonction et la démonstration de force, qui passe par le choix (inattendu) du lieu, la profusion (ou non) d’amuses bouches, il faut donner une légitimité à l’institution qui pourrait paraître sclérosée et dépassée.
Oh, évidemment, l’avantage tient ici à ce qu’il est tout-à-fait permis de faire de l’ombre à la mariée, et représentants des petits et gros cabinets sont là pour fanfaronner allègrement sur les résultats du premier semestre, comparer ses points, d’aucuns regrettant même qu’il ne soit pas possible de déduire fiscalement la tenue arborée par Madame pour l’occasion.
D’autres diront, animés par un sentiment de vénalité à peine voilé par ce qui est supposé être de l’humour, qu’il faut « bien rentabiliser sa cotisation annuelle à l’Ordre des avocats ». (Rires). Je leur donnerai raison sur l’opacité de la distribution et du remploi de notre cotisation, mais franchement, est-ce que c’est parce que je paie ma taxe poubelles provinciale que j’ai plaisir à descendre mon sac poubelle tous les mardis ? Non.
La comparaison est peut-être hasardeuse, mais l’épreuve de devoir faire risette avec ses confrères autour de buffets (souvent trop) pauvrement achalandés est bien réelle, surtout lorsqu’elle se couple à une surconsommation de mauvais crémant d’Alsace qui, à 23 heures bien tapées (soit l’heure où il serait de bon ton de quitter sauf que manifestement personne ne veut le comprendre), donne une piètre image de l’Avocature sombrant dans les méandres d’une dérive alcoolisée.
Il paraît qu’on s’y est bien amusés, cette année, et qu’on y a bien mangé, et je m’en réjouis pour ceux qui y étaient, et surtout pour les propos aigris que l’on m’aura, par la même occasion, épargnés le lundi matin. La Bâtonnier a réussi son épreuve du feu, donner satisfaction aux pique-assiettes en tout genre. C’est l’état de grâce, toujours délicat, suspendu à un fil.
Forcément, il y a beaucoup de snobisme dans mon propos, Virginia Woolf écrivant à cet égard que « l’essence du snobisme est de chercher à faire une forte impression sur les autres » ; je doute pouvoir vous impressionner en mentionnant que, le soir du cocktail du Bâtonnier, j’étais les pieds dans la boue, à boire des bières dans des gobelets en plastique, à la Fiesta du Rock à Flémalle après avoir avalé une pita chez Murad. Je crains également être bannie à jamais des cocktails de fin d’année du Barreau. Il n’empêche que, cette année, j’étais là où l’on ne m’attendait pas, et c’est extrêmement jouissif de se vanter de cette subversion.
Hélas, il faut déjà remettre le couvert bientôt, et l’on pourra certainement, si vous le voulez, en parler de vive voix et de bon cœur à la Rentrée Solennelle.
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