La surcharge d’informations et des e-mails en particulier

Article

Le constat La surcharge d’informations est un phénomène qui n’épargne pas les cabinets d’avocats. Bien qu’il ne soit pas neuf (Conrad Gessner stigmatisait déjà en 1545 « une abondance de livres confuse et dangereuse »), ce phénomène s’est accru de manière exponentielle ces deux dernières décennies, avec le développement des technologies de l’information et de la communication, et principalement d’Internet. Le problème de l’e-mail est particulièrement symptomatique à cet égard : combien d’entre nous ne se sont pas découragés devant le nombre d’e-mails entrants dans leur boîte de réception ? Quelques chiffres :

  • L’humanité a produit plus d’informations au cours des 30 dernières années qu’au cours des 2000 ans d’histoire et ce volume double tous les 4 ans (Aron et Petit, 1997)
  • Capacité mondiale de stockage de l’information : 2,9 X 1020 octets (Hilbert – Lopez 2011)
  • Un trillion d’URL[1] uniques en 2008 (Alpert – Hajaj 2008)
  • Un livre publié toutes les 30 secondes (Darnton 2007)
  • La quantité d’information digitale créée chaque année va augmenter d’un facteur 44 entre 2009 et 2020.

« L’infobésité » touche la plupart d’entre nous, à des degrés divers. La perception de surcharge informationnelle varie cependant d’un individu à un autre : telle personne se sentira noyée après la réception de 10 e-mails journaliers tandis qu’une autre ne ressentira la pression qu’au-delà de 200 … Quels dangers ? L’infobésité touche principalement les cadres et les dirigeants, comme les travailleurs indépendants. Les problèmes et les risques qui y sont liés sont de plusieurs ordres :

  1. Détérioration du fonctionnement de l’entreprise à plusieurs niveaux : prise de décision, saturation et désinformation, découragement et culpabilité du personnel, ...
  2. Déconcentration liée aux trop nombreuses interruptions dans le travail de fond.
  3. Atteinte à l’individu de façon personnelle et augmentation des risques de problèmes physiques et mentaux, menant au burn-out.

74% des managers  souffrent de surcharge informationnelle. 40% des salariés se considèrent en surcharge d’activité. 56% ressentent une augmentation du volume des dossiers traités. 30% de l’activité d’un manager, et certainement d’un avocat, est consacrée à l’activité d’information et est constante augmentation. En résulte dès lors une baisse de productivité proportionnelle. L’information est essentielle car elle permet de prendre des décisions de façon éclairée. Malheureusement, une surcharge d’informations nuit à la qualité du processus décisionnel.

Il convient dès lors de s’en préoccuper mais, la plupart du temps, le management de l’information est un poste négligé dans de nombreuses entreprises, et sans doute chez les avocats. L’enjeu est cependant de taille et il va croître de la même manière que le volume des informations augmente sans cesse.  

 

Des solutions ?

Il n’existe malheureusement pas de solution miracle au problème de la surinformation. Par ailleurs, chaque cabinet, chaque entreprise, a des besoins spécifiques et les solutions doivent s’adapter à l’environnement dans lequel ils évoluent. La première étape essentielle est de considérer que le management de l’information est un poste important dans la gestion du cabinet et qu’il ne se satisfait pas de solutions bricolées. Il convient de mettre en place une véritable culture de l’information, à plusieurs niveaux. De nombreux outils vont vous y aider.

  1. La gestion des documents.

Quelques lignes de force :

  • Garder une seule version de la vérité ;
  • Donner aux utilisateurs le contrôle de leurs données ;
  • Penser au destinataire ;
  • Séparer le « know » du « Show » ;
  • Séparer le « know » du « flow » ;
  • Prendre l’information une fois, à la source ;
  • Conserver la qualité de l’information ;
  • Intégrer les documents et les contacts ;
  • Travailler de manière plus intelligente, mais pas plus ;
  • Etablir une gestion intégrée des documents et des données ;
  • Aller au plus simple ;
  • Filtrer, hiérarchiser, ordonner, organiser et stocker.

D’autres part, de nombreux outils de management de l’information sont à votre service pour vous faciliter la tâche. Sur Internet, les « discovery-tools[2] »  sont des produits de nouvelle génération, qui sont adaptés à la surcharge d’informations. Les logiciels de cabinets d’avocats intègrent à présent la gestion « intelligente » des documents. Le « cloud computing[3] » permet de se concentrer sur le travail et de déléguer à d’autres les soucis de stockage, de mises à jour des programmes, … à condition bien entendu de veiller au respect du secret professionnel et des obligations en matière de traitement des données à caractère personnel. Les logiciels de messagerie et les agendas électroniques, pourvu qu’ils soient bien paramétrés, peuvent automatiser de nombreuses tâches et limiter votre intervention. Les bibliothèques et les professionnels de la documentation peuvent s’avérer précieux en tant qu’intermédiaires efficaces entre vous et l’information. Au-delà des solutions technologiques, il existe des solutions locales, organisationnelles et individuelles, via :

  • Le développement  d’une culture de l’information au sein de l’organisation ;
  • La construction de son propre système d’information écologique et évolutif ;
  • La formation.

Les possibilités de « manager » l’information sont nombreuses.  Reste à choisir celles qui nous correspondent le mieux. Retenons encore qu’il importe d’intégrer l’utilisateur à chacune des étapes. La solution ultime : la déconnexion (individuelle ou collective) L’e-mail, symptôme évident de l’infobésité Le message électronique est l’outil-phare du capitalisme. Il permet la gestion différée, il est facile à utiliser, il est rapide et peu coûteux. Le courriel peut se conserver, se transmettre, être archivé. On peut le refuser … Il présente toutes les caractéristiques d’une évolution moderne et positive de la messagerie au sens large. Cependant, certains prédisent son déclin et sa disparition d’ici une vingtaine d’années, le jugeant vieux, trop lent, asocial. La plupart des jeunes ne l’utilisent pas et préfèrent la communication instantanée, ce qui ne résoudrait certainement pas le problème de la surcharge informationnelle. Pourquoi le mail pose-t-il problème à un grand nombre d’entre nous ? L’e-mail a souffert rapidement de ses qualités : trop facile à utiliser, il est devenu rapidement omniprésent. Dénué du vocal et du gestuel, le message est en lui-même d’une grande pauvreté au niveau de l’échange interpersonnel. Permettant à chacun de s’exprimer après un simple « clic », il efface trop vite les précautions que l’on prendrait dans un dialogue en vis-à-vis et peut embrouiller la communication. Au sein d’une structure, d’un cabinet, … il est important d’être visible et dès lors de beaucoup communiquer. Les managers et les chefs d’entreprise sont souvent eux-mêmes ceux qui « donnent le rythme » et contraignent les collaborateurs à être au moins aussi présent dans l’échange de mails. L’utilisateur doit encore faire le tri parmi les messages non désirés (le fameux « spam »), les publicités tapageuses, les « hoax » (canulars … ), les renvois d’amis bien intentionnés, … Dès lors, nous passons trop de temps (jusqu’à 30 % du temps de travail … ) à gérer notre boîte mail et notre productivité s’en ressent. Que faire pour limiter la pression des mails ? Une règle de base tout d’abord : ne pas traiter ses messages toute la journée (au fil de l’eau … ), mais se réserver des plages (3 par jour par exemple, une fois le matin, une fois en fin de matinée et une fois avant de quitter le bureau). Le reste du temps, restez déconnectés.

En effet, une interruption de 30 secondes dans son travail nécessite 5 minutes pour retrouver sa concentration. En plus des intrusions téléphoniques et physiques, évitons de rajouter l’intrusion de messages. A quoi doit servir, de manière exclusive, le message électronique ? Il convient de recentrer le courriel sur les fonctions où il est véritablement utile et efficace. Les usages principaux du mail doivent se limiter à :

  • Demander à quelqu’un de faire quelque chose ;
  • Informer quelqu’un de quelque chose ;
  • Répondre à une demande ;
  • Partager des documents avec des destinataires externes (pour la communication interne, d’autres moyens, plus adaptés, existent).

Dans quel cas vaut-il mieux l’éviter ?

  •  Pour le travail en mode projet, si vous possédez un outil de travail en mode collaboratif, il convient de le privilégier. C’est par exemple le cas des groupes de travail existants dans l’extranet du barreau de Liège.
  • D’autre part, le mail est à proscrire dans certains cas, par exemple dans le cadre d’une négociation, où il convient d’utiliser un média plus riche, le téléphone, par exemple, ou un rendez-vous en face à face.
  • De même, il faut se méfier de la dimension émotionnelle du mail et de son effet amplificateur. Evitez dès lors son usage en cas de conflit, d’incompréhension, …
  • Très important, le mail n’est pas non plus le media à utiliser en cas d’urgence. Vous n’envoyez pas un mail aux pompiers quand votre maison brûle …

  Quelques règles générales

  •  En ce qui concerne le destinataire, envoyez le mail à la personne directement concernée. L’utilisation de la fonction « copie » doit être limitée mais peut être privilégiée lorsque vous n’attendez pas d’action de la part de votre correspondant et que la personne concernée sache qu’elle n’est pas la destinataire principale. La fonction « copie » ne doit pas être utilisée dans le but unique de se couvrir, éventuellement.
  • La copie cachée (CC ) doit être utilisée avec plus de parcimonie encore et dans certains cas très précis, comme par exemple lorsque le destinataire désire conserver son adresse secrète ou que plusieurs destinataires ne se connaissent pas entre eux.
  • Quant à la fonction « Répondre à tous », véritable vecteur d’infobésité, elle est vraiment à proscrire.
  • Le transfert de messages (faire suivre) ne devrait s’effectuer qu’avec l’autorisation de l’expéditeur original.
  • Enfin, évitons les chaînes de mail, d’un niveau hiérarchique à un autre niveau, ce qui ne fait qu’amplifier les conflits, évitions les mails incendiaires qui mettent en cause des personnes et laissent des traces indélébiles …
  • Lorsque vous envoyez un mail, réfléchissez plutôt deux fois qu’une et posez-vous trois questions : ce que j’écris, oserais-je le dire en face ? Si j’attendais demain, écrirai-je la même chose ? Si mon mail était lu par quelqu’un à qui il n’est pas destiné, risquerai-je des problèmes ?
  • Rester polis, même avec des formules simplifiées, comme « Bien à vous », « Cordialement » ou «Sentiments dévoués ».
  • Bannir les majuscules (c’est la même chose que crier) et les fioritures (émoticônes … )
  • Lire et relire avant l’envoi pour être sûr d’être compris, et corriger vos erreurs de langage.

Quelques conseils de gestion et de rédaction pour la messagerie au niveau professionnel :

  •  Utiliser la zone « Objet » en étant précis, clair court et significatif. Si une action requise est liée à un délai, indiquez ce délai dans l’objet. Ex. : « Conclusions JH. A rendre pour le 20 mai »
  • Privilégier les mails courts (quelques lignes, si possible). Commencez par l’action, la conclusion et finissez par le cadre. Les personnes qui connaissent le cadre n’auront pas besoin de lire le message jusqu’au bout.
  • Pour les messages très courts, vous pouvez vous limiter à utiliser l’objet et mettre à la fin de celui-ci la mention « FDM » (Fin Du Message), ce qui permet à votre destinataire de gagner du temps puisqu’il ne doit même pas ouvrir le mail. Exemple : « RV à 14H derrière le Luxembourg - FDM ».
  • Si possible, ne pas écrire le soir ou le week-end.
  • J’ouvre, je traite. Si nous ouvrons un message, nous le traitons, s’il échet, l’archivons, le détruisons.
  • Trier les « bons » mails des « mauvais ». Chaque soir, l’idéal est de vider sa boîte de réception, à l’exception des m messages encore à traiter.
  • N’imprimer pas vos mails, mais classez-les directement sur votre ordinateur dans le dossier concerné ou grâce à votre logiciel de gestion dans la base de données de votre serveur.
  • A quelle vitesse devons-nous répondre à un mail ? 24H en cas d’urgence, 3-4 jours en temps normal. Si vous répondez dans les 5 minutes régulièrement, vos interlocuteurs pourraient s’étonner, voire s’offusquer, de ne pas recevoir une réponse à chaque fois dans ces délais …

Utiliser les fonctionnalités des logiciels de messagerie et les outils anti-spams Les logiciels de messagerie, style Outlook, pour ne pas le nommer, permettent de configurer votre boîte de réception de manière très pointue, pourvu qu’on se donne la peine d’y consacrer un peu de temps. C’est ainsi que vous pouvez créer des règles qui vont gérer pour vous un certain nombre de tâches. Un exemple simple : tous les mails venant de M. X doivent aller à la poubelle … Au-delà de cet exemple simpliste, un nombre important d’actions peuvent être pré-programmées. Vous pouvez utiliser les codes couleurs, pour attribuer un degré d’importance ou d’urgence à tel ou tel message. Vous pouvez classer vos messages directement dans tel ou tel dossier, suivant son objet. De la même manière, vous pouvez faire suivre automatiquement vos messages à vos collaborateurs, pourvu qu’ils correspondent à un critère prédéfini.

Certains logiciels peuvent  déterminer un profil d’utilisateur sur base de son activité, et font « remonter » les messages importants, ceux à traiter, et laissent les autres … Mettre en place une politique interne au niveau de la messagerie Même si elles sont rarement respectées, du moins intégralement, il est utile de se doter d’outils et de règles internes à la communication dans le cabinet. Après avoir déterminé les usages propres au cabinet, il conviendra de déterminer une « charte » de la communication et de la mettre à jour régulièrement. Attention : cette charte ne sera efficace que si les cadres s’impliquent et montrent l’exemple …

Conclusion L’infobésité est un phénomène de notre époque, lié au développement des technologies : toujours plus, plus vite, partout et tout le temps ... Dans notre société occidentale, peu y échappe. Il convient en premier lieu de reconnaître les symptômes dès qu’ils apparaissent et considérer la question de manière professionnelle et non comme un inconvénient mineur et inéluctable. Ensuite, une véritable culture de l’information doit être élaborée, à plusieurs niveaux. Les solutions miracles n’existent pas et les outils à mettre en place sont multifactoriels. Ne pensons pas non plus régler des soucis organisationnels par des solutions technologiques. Gérer l’information a un prix et il n’est pas négligeable. Quoi qu’il en soit, si vous n’arrivez plus à gérer, déconnectez … Eric Franssen. Sources : -) Inforum 2013 – InfOverload : no surcharge to pay. Support de la journée d’études organisée par l’Association Belge de Documentation le 30 mai 2013 à la Bibliothèque Royale de Belgique. -) Infobésité : comprendre et maîtriser la déferlante d’informations / Caroline Sauvajol-Rialland. Paris : Vuibert, 2013.


[1] URL : Uniform Resource Locator. Adresse d'une ressource du web, sous la forme d'une chaîne de caractères (www.linternaute.com )
[2] Discovery Tools : outil de recherche de la documentation électronique qui permet d’accéder immédiatement par le biais d’une interface unique à un ensemble déterminé d’informations internes et externes, indifféremment du support, du mode et du lieu de stockage (http://www.idnum.fr/eloge-des-discovery-tools/ ).
[3] Le Cloud Computing est un concept de déportation sur des serveurs distants des traitements informatiques traditionnellement localisés sur le poste utilisateur (Wikipedia )

Ajouter un commentaire

Texte brut

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
This question is for testing whether or not you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.