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Six questions à Patrick Henry, candidat à la présidence de l’O.B.F.G.
- Me Patrick Henry
JPJ : Patrick HENRY vous êtes candidat à la présidence de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone. Pourquoi ?
PH: C’est un engagement politique, au sens étymologique du terme. Notre modèle de société, la démocratie constitutionnelle, n’est ni un donné, ni un acquis. Elle se défend, elle se construit, jour après jour. Notre profession me semble incarner les principales valeurs citoyennes : liberté, égalité, solidarité, contradiction, transparence, confidence. Nous devons défendre ces valeurs, veiller à ce qu’elles ne se dissolvent pas, avec notre profession, dans la grande Europe des marchands.
JPJ : Crise économique, crise des valeurs : quelle(s) réponse(s) ?
PH: Cette crise est un temps de changement et d’adaptation. C’est vrai aussi pour notre profession. Elle va changer. Elle change. Elle a changé. Mais, comme le disait Francis Blanche, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. Il ne sert à rien de regretter le monde d’avant. Nous devons penser celui de demain, trouver les modèles qui permettent à notre profession de continuer à se développer, en sauvegardant ces valeurs essentielles.
JPJ : Certains plaident pour l’élargissement du périmètre de notre profession. D’autres pensent, au contraire, que nous devons nous resserrer sur le cœur de notre profession, sur la défense en justice, à peine de nous dissoudre et de perdre nos privilèges (monopole de la plaidoirie, secret professionnel, autorégulation, …)…
PH : La question ne me semble plus en débat. D’autres l’ont résolue pour nous, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et, généralement, dans la plupart des pays européens. Les avocats interviennent de plus en plus tôt dans les processus décisionnels. Leur champ d’activité embrasse de plus en plus de secteurs (agents sportifs, agents artistiques, syndics d’immeubles, fiducies, lobbying, …). Nous devons adapter nos règles pour permettre un exercice efficace de notre profession, dans le respect des principes de loyauté et délicatesse qui en ont toujours fait la force, sans abandonner aucun des principes qui sont indispensables à l’exercice de la défense en justice. Élargir le champ de nos activités, tout en misant sur l’éthique, c’est pour moi, le défi que nous devons relever aujourd’hui.
JPJ : Pensez-vous que l’Europe et le Fonds Monétaire International permettront le développement de ce modèle ?
PH : C’est le cœur du défi. Il est certain que les gardiens de la concurrence ont la tentation de s’attaquer à notre déontologie qu’ils voient trop souvent comme un ensemble de pratiques restrictives. Nous ne pouvons qu’avoir deux réponses à ces attaques. D’une part, il faut écouter les critiques, comprendre ce qu’elles ont de fondé et les intégrer, en modifiant celles de nos règles qui ne servent qu’à protéger notre marché, nos intérêts, et non ceux des justiciables. Il s’agit de traquer dans nos règlements toute trace de corporatisme. D’autre part, il y a les valeurs fondamentales, celles sans lesquelles il n’y a que simulacre de défense, simulacre de conseil. Nous devons faire valoir celles-là à tout prix. Cela n’est possible que dans l’union. Il faut renforcer la cohésion des Ordres, renforcer l’OBFG, renforcer le CCBE. Ce n’est qu’à ce niveau que nous pouvons faire entendre notre voix de façon efficace.
JPJ : Comment inscrivez-vous ces réflexions dans la réforme du paysage judiciaire ?
PH : A nouveau, il n’est plus question de prendre position pour ou contre la réforme du paysage judiciaire. Elle est déjà un fait, sinon dans le Code judiciaire, en tout cas dans le programme du Gouvernement. Mais il importe d’œuvrer pour que cette réforme soit efficace. Nous devons donc contribuer à ce que se dessine un nouveau paysage qui soit adéquat par rapport aux exigences d’efficacité et de proximité.
En ce qui concerne les Ordres, cela impliquera, très certainement, une nouvelle répartition des pouvoirs au sein de l’assemblée générale de l’OBFG.
JPJ : Et Salduz ?
PH : Lors du mémorial Jacques Henry, en ce début de mois de février à Barcelone, le bâtonnier Pedro Yufera a souligné que nous sortions de cinquante années où, petit à petit, nous nous étions habitués à faire de moins en moins avec de plus en plus. Il nous incitait à casser cette spirale et à, dès aujourd’hui, faire plus avec moins. C’est vrai pour l’équilibre de la terre. C’est vrai pour l’équilibre de nos économies. Sans doute est-ce vrai aussi pour nous.
Depuis des dizaines d’années, nous réclamions plus d’équilibre dans le procès pénal. Par son arrêt Salduz, par la centaine d’autres arrêts qui ont consacré le droit à l’assistance d’un avocat lors de toute audition, par le développement de la jurisprudence qu’elle a construite sur les articles 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de Strasbourg nous a confié un rôle plus important, conforme à celui que nous réclamions.
Il est vrai que la mise en œuvre de ces nouveaux droits ne va pas sans difficultés. Il y a beaucoup de difficultés pratiques à rencontrer (dispersion des lieux d’audition, limitations indues des prérogatives que le parquet nous reconnaît, défauts ponctuels du logiciel mis en place pour gérer les permanences, tâtonnements dans sa mise en œuvre) mais, à l’OBFG, nous ne cessons de travailler pour que tout cela s’améliore (introduction d’un recours contre les dispositions trop restrictives de notre loi, centralisation des dysfonctionnements pour les résoudre, contacts avec le Gouvernement, les parquets et les autorités publiques et les autorités de police pour résoudre un maximum de difficultés pratiques).
Il est vrai aussi que la rémunération qui est concédée aux avocats qui assument les permanences est trop faible. Il en est là comme, d’ailleurs, pour tout le reste de l’aide juridique. C’est le devoir de nos Ordres et de l’OBFG de lutter afin d’obtenir une revalorisation de ces prestations. Si le contexte économique ne peut être ignoré et si nous ne pouvons espérer que toutes nos revendications soient acceptées immédiatement, il n’est évidemment pas question d’accepter que la valeur du point soit encore dégradée ou que les engagements pris par le ministre De Clercq ne soient pas tenus.
Mais cela ne doit pas nous inciter à abandonner définitivement ces tâches qui sont au cœur même de notre mission. S’il le faut, faisons donc la grève, pour obtenir la revalorisation de nos prestations, mais non pour renoncer à les accomplir.
Si nous le faisions, nous renoncerions à notre raison d’être, à nous-mêmes.
L’avocat doit être là, présent, aux côtés d’un homme, pour l’aider à se tenir debout. Toujours.
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