Etats d'âme d'un jeune avocat

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Me Renaud Molders

Parcours du combattant et profession de foi, le champ lexical le plus souvent utilisé par les avocats expérimentés lorsqu’il s’agit de présenter ce qui attend leurs Confrères fraîchement émoulus de l’université. Il devrait cependant être ajouté qu’ils seront rapidement les pourvoyeurs de fonds d’un système social toujours plus avide d’argent – encore que cela ne soit pas l’apanage des jeunes avocats … La première embûche de la carrière d’un jeune avocat vient avec la première année et consiste à s’astreindre à se rendre tous les samedis aux cours CAPA et à, gageure plus importante encore, réussir à terminer sur le temps de midi les plats réchauffés servis par le restaurant choisi pour réconforter le jeune stagiaire (il s’agit ici de ne pas faire de publicité)¹. Durant son stage, le jeune avocat réduira au maximum toute dépense et défendra le plus possible de bénéficiaires de l’aide juridique – dont une partie non négligeable gagne d’ailleurs mieux sa vie que le stagiaire – afin d’attendre, non sans une certaine impatience, le mois de mai annonciateur du payement des indemnités BAJ. Passées ces trois années de stage obligatoires, les cotisations sociales estiment alors qu’il est grand temps de faire rentrer dans le rang ce jeune travailleur qui entend démontrer qu’il est possible pour un indépendant de gagner décemment sa vie en Belgique. La fourmi de Monsieur de La Fontaine s’est en effet trompée de saison : ce n’est pas en prévision de l’hiver qu’il s’agit de demander un maximum de provisions, mais afin de survivre à la rude régularisation des cotisations sociales concomitante à la quatrième année de Barreau ! Il est bien connu que beaucoup d’entre nous ont choisi de faire des études juridiques en raison de leur aversion des mathématiques. Les quelques chiffres suivants sont pourtant dramatiquement bien plus éloquents que n’importe quelle plaidoirie – fût-elle « jouée » (le terme est choisi à dessein) lors du concours organisé en fin de deuxième année de stage … Prenons le cas d’un jeune avocat ayant réalisé un chiffre d’affaire de 42.000 € (toute ressemblance avec une personne existante est purement fortuite …) et à propos duquel il convient de chiffrer son revenu mensuel net de toutes charges. Doivent y être soustraits l’ensemble des frais de fonctionnement inhérents à la profession et qui avoisinent, pour l’exemple, près de 10.000 € (ce qui reste relativement raisonnable). Le revenu net avant impôt et prélèvement des charges sociales est donc égal à 32.000 €. Il ne saurait évidemment être question de laisser autant d’argent à un indépendant au risque de voir se développer les initiatives professionnelles autonomes. Le fisc ordonne par conséquent que soit effectué un versement de 11.000 €. Reste alors à payer les cotisations sociales qui entretemps ont été régularisées – pour les besoins de la majorité – et qui s’élèvent dès lors à une somme avoisinant les 7.000 € pour des revenus d’un tel montant. Les charges étatiques au sens large équivalent donc à la somme de 18.000 €. En synthèse, un jeune avocat ayant un chiffre d’affaire annuel de 42.000 € percevra donc un revenu net de 14.000 € annuel, soit 1.250 € mensuel net (tous ces chiffres sont rigoureusement exacts et aisément vérifiables). Quid d’un chômeur dans la même situation ? Il pourrait facilement toucher, en tirant quelques ficelles légales dont certains clients du jeune avocat ont le secret, une allocation mensuelle de 1.100 €. En d’autres termes, un jeune indépendant dans la situation présentée ci-dessus gagne 150 € de plus que s’il était au chômage. Or, il a travaillé, en moyenne, près de 200 heures par mois, ce qui signifie que chaque heure de travail lui a rapporté 0,75 € de plus par rapport à la situation qu’il connaîtrait en tant que chômeur. Sans oublier que, s’il avait décidé de ne pas travailler et de profiter de ce gouffre du système (à ce stade, il ne saurait en effet plus être question de faille), il aurait toute une série de charges qui cesseraient d’exister. Se pose dès lors une question simple, mais à laquelle personne ne semble pouvoir répondre : dans une telle situation, quel est l’intérêt financier actuel de travailler? Le simple fait de poser cette question est particulièrement consternant, mais le plus affligeant reste cependant que cela ne semble plus choquer qui que ce soit ! Trois solutions existent néanmoins. Il n’est pas question de tenir ici un discours politique au risque d’en récolter pour unique consolation une migraine indéfectible. Il n’en reste pas moins que nous vivons dans un pays où la pression fiscale exercée sur les indépendants est absolument dramatique, ce qui engage évidemment en premier lieu la responsabilité des politiques et donc, dans un système démocratique, notre responsabilité individuelle – sauf à considérer qu’une particratie n’est pas une démocratie populaire, ce qui ne saurait être contesté, ou qu’une démocratie instaurant une obligation de droit de vote montre ici ses limites. La première solution consisterait en une réforme législative qui prendrait enfin en compte les efforts accrus et le stress inhérent à notre profession (et à celle de tout indépendant) pour alléger le montant des impôts et des cotisations sociales. La deuxième solution pourrait consister en une modification du statut social des avocats en permettant aux jeunes – et parfois aux moins jeunes – de signer un contrat de travail avec un cabinet. On connait toutefois toute la problématique du lien de subordination à propos de laquelle il pourrait être rédigé des dizaines de pages qui risqueraient de ne pas être exhaustives. Enfin, la troisième solution conduirait à une situation certes inique, mais qui doit peut-être malgré tout être envisagée et consisterait à profiter de ce système pléthorique en s’inscrivant au chômage. En conclusion, la situation d’un jeune avocat est quasiment financièrement intenable sans un appui financier extérieur … Ce constat est particulièrement désolant car l’on finit par se demander si une sélection basée sur les qualités de mécène de cet appui extérieur, le plus souvent la famille du jeune avocat, ne finit pas par s’opérer de facto. Ce qui, convenons-en, serait tout simplement inacceptable. Un important bémol cependant : ce texte de quelques lignes ne doit être lu que d’un point de vue financier. On ne saurait en effet ignorer, concomitamment au bilan qu’il ferait de sa jeune carrière à l’issue de son stage, qu’un jeune avocat a la chance d’exercer un des plus beaux métiers du monde pour toute une série de raisons que les exigences en matière de longueur de texte ne permettaient pas de présenter …   Renaud MOLDERS   PS : concomitamment à la rédaction de ces quelques lignes, je me suis permis d’écrire à la caisse d’assurances sociales auprès de laquelle je suis affilié afin de lui présenter le cas ci-dessus et de lui poser une simple question : quel est l’intérêt financier de travailler ? La réponse suivante m’est parvenue quelques jours plus tard : « Monsieur, Nous avons reçu un avis stipulant que vous n’êtes plus actif en tant qu’indépendant. Afin de clôturer votre dossier, veuillez nous envoyer [etc.] … » . [1] Il pourrait être fait à ce stade une pléthore de commentaires quant à l’utilité de ces cours, mais ce billet d’humeur n’adoptera finalement que l’aspect financier de la vie d’un jeune avocat. Quant au CAPA, on ne pourra donc que saluer la décision du Conseil de l’Ordre de mettre de manière automatique le coût de l’inscription à charge des patrons de stage.

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