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Le 26ème congrès de la C.I.B à Nouakchott
La Mauritanie, terre des hommes
Qui connaît Nouakchott, cette ville encadrée par l'armée, au bord de l'Atlantique, au sud de l'Algérie et du Mali d'où surgissent des hordes de terroristes? Nouakchott n'est plus cette « garnison » isolée de toute vie dans le désert où ST-EXUPERY s'était échoué en compagnie de ses vieux compagnons RIGUELLE et GUILLAUMET, fut accueilli par un vieux sergent enfermé avec ses 15 Sénégalais dans son fortin.( A. de Saint Exupéry - Terre des hommes. Le désert-II) Elisabeth KHIEL et Jean-Baptiste PIETTE vous ont conté leurs découvertes et leur enthousiasme. Je voudrais vous confirmer - et les textes publiés ci-après en sont une preuve indéniable – qu'ils ont représentés notre barreau avec brio et ont conquis tous nos confrères. J'ai promis de ne vous faire qu'un rapport très succinct sur les travaux de ce congrès, ordonnés, une fois de plus, par l'infatigable et omniprésent Bâtonnier MARIO STASI.
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Dans son discours d'ouverture, le ministre de la Justice déclarait : « L'organisation de ce congrès en République islamique de Mauritanie traduit votre connaissance des réalisations de notre pays dans le développement de la démocratie, le renforcement de l’État de droit et la promotion et la protection des droits de l'homme ainsi que le respect de leurs principes. » L'avocat remplit une noble mission d'une grande importance par son apport à l'appareil judiciaire pour assurer la quiétude des justiciables, l'accès à leurs droits, la protection de leurs biens et de leurs vies. Pour ce faire, votre profession constitue un élément indissociable de la grande famille judiciaire … » Le pouvoir judiciaire jaloux de son indépendance s'est illustré par des procès qui ont respecté les règles du droit à un procès équitable et les droits de la défense »[1].
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La CIB est un lieu de parole pour les pays africains francophones et les nordistes que nous sommes (tous de tradition juridique commune) et nous écoutons toujours ébahis, leur combat pour que « l' avocat puisse y remplir une noble mission qui est celle aussi de la défense des magistrats ». Grande fut notre émotion lorsque deux anciens militaires, alors condamnés à mort, devenus députés après leur acquittement, nous ont décrit, les larmes aux yeux, leurs procès tenus dans une caserne auxquels, pendant deux mois, cinquante avocats de Nouakchott ont assisté, jour après jour, faisant 50 km à l'aller et au retour, pour assumer une défense collective. Il est difficile dans notre Europe protégée d'imaginer le poids de la défense en Afrique .
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Je me limite donc à vous transmettre quelques confidences qu'une des huit avocates de Nouakchott m'a confiées.
Il est difficile encore pour une femme en Mauritanie de faire des études supérieures. Les difficultés sont économiques, sociales et géographiques. L'université n'accorde aucune bourse et est donc réservée à un milieu social privilégié: il leur est évidemment possible de faire leurs études en France, au Maroc, en Tunisie, à Dakar ou en Côte d'Ivoire. Il est d'usage que les filles se marient pendant leurs études et qu'elles dépendent complètement de la bonne volonté de leur mari pour les mener à bien. Hadj MOJTAR SALEK est avocate en Mauritanie depuis le 21 avril 1982. Elle a prêté son serment seule (c'est ainsi que nos mères prêtaient serment en 1927). Il n'y avait alors que 22 avocats en Mauritanie. Aujourd'hui, ils sont 250 plus les stagiaires. Avant son inscription au barreau, elle a effectué un stage de 3 ans, y conquit le CAPA (9 mois de cours) après avoir obtenu son diplôme BAC +4. Elle a dû, comme tous les avocats qui s'inscrivent, choisir un patron de 5 ans d'âge et « se constituer un pécule de stage important (90,00 € pour la première année) »[2]. L'ancienneté de l'avocat dépend de la date de la prestation de serment. Le stage peut être prolongé. La caution est évidemment un numerus clausus. MB: Comment s'est déroulé ton stage ? HMS: Je vous avoue, en catimini, que lors de mon stage, j'ai vécu " la croix et la bannière ". En effet, le patron a tous les droits et parfois il en abuse, même sur le plan privé et physique. Actuellement, je travaille seule pour éviter toute allégeance à l'égard des confrères masculins. La clientèle, presque plus masculine que féminine, est nombreuse car les femmes paraissent plus sérieuses que les hommes. Mes matières de prédilection sont l'assurance en droit du travail, le droit familial, le droit foncier et le droit des successions. Je suis passionnée par ma profession. MB: Quelle est ton parcours à l'Ordre ? HMS: J'ai été élue une fois au conseil de l'Ordre car les avocats ne sont pas très favorables à la présence d'avocates dans les instances de l'Ordre. J'ai voulu me présenter au bâtonnat mais je n'ai pas remporté de voix. Je n'ai pas pu prendre des stagiaires en charge et ce, à la demande du procureur général. Je suis donc la toute première femme avocat en Mauritanie. Je tiens à souligner que je suis Peule et non Arabe. La cotisation à l'Ordre est fixée par l'assemblée générale et est d'environ 20.000 ouguiyas/an; mes revenus sont indéterminables. Les avocats ne jouissent d'aucune assurance collective, et dès lors, je n'ai pas de couverture RC, même individuelle, ni retraite ni pension. MB: Quelle est ta vie familiale ? HMS: J'ai divorcé à 18 ans pour faire mes études. J'avais en effet été mariée à 12 ans. J'ai eu 3 enfants. C'était ma mère qui les gardait pendant que j'étais à l'université. J'avoue n'être pas très attachée à mes enfants lesquels ont mal vécu mon divorce et mes difficultés. J'ai une grande admiration pour ma grand-mère qui ne sait pas lire et pour ma maman qui a toujours prôné l'égalité filles/garçons et a toujours été le plus grand défenseur des femmes. MB: Quel est le sort des jeunes qui commettent des infractions ? HMS: Les jeunes sont détenus en prison, ils sont entendus par une police spéciale, ils peuvent bénéficier de la présence d'un avocat, d'un assistant social. Les parents sont informés en cas d'arrestation. La garde à vue n'est pas autorisée avant qu'ils aient atteint l'âge de 15 ans.
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La Mauritanie est une république islamique. La langue officielle est l'arabe mais beaucoup de Mauritaniens pratiquent le français. La loi sur l'organisation judiciaire a été récemment modifiée. Il y a une Cour suprême, 3 cours d'appel, 12 tribunaux régionaux (1ère instance) et des tribunaux de paix qui sont compétents en matières civile, commerciale, de proximité. L'Ordre est présidé par un bâtonnier. Son mandat est de 3 ans renouvelables. Il y a 12 conseillers de l'Ordre qui doivent être d'une bonne moralité et ne pas avoir commis « trop » de fautes disciplinaires. Le Bâtonnier de Nouakchott proclame que le barreau est une sentinelle de la justice, ce qui déplaît aux autorités qui considèrent que cette mission ne correspond pas à la mission exclusive du barreau qui est de veiller à l'organisation de l'Ordre et à la discipline des avocats. En 2010, un grand nombre d'arrestations d'avocats avaient eu lieu, les libérations avaient été refusées et le barreau s'est engagé dans un grand combat contre les autorités. La présence du ministre de la Justice était donc importante pour le barreau de Nouakchott. Hélas, en Afrique, tout se monnaie, même la libération de certains condamnés, alors même qu'ils ont exécuté leur peine. L’Afrique reste trop souvent corrompue. Elle a besoin de nous.
« On peut corrompre tout le monde à un moment. On peut corrompre une personne à tous moments. Mais on ne peut pas corrompre tout le monde à tous moments ».
Je vous invite donc à venir nombreux à KIGALI - barreau jumelé- en décembre 2012, pour que le 27ème congrès y soit une réussite. Mabeth Bertrand-Henry
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