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« Des bisous, des bisous, encore des bisous… »
Vous l’avez certainement vue, cette nouvelle campagne de publicité, menée avec fracas à l’initiative de cette société désirant vendre des pulls et qui réunit sur un même cliché un tendre baiser entre le pape et l’imam d’Al-Azhar, Obama et Hu Jintao, le couple « Merkozy » ou encore les présidents de la Corée du Nord et de la Corée du Sud. [caption id="attachment_723" align="alignleft" width="300" caption="Menkel - Sarkozy"][/caption]
Et d’aucuns diront que la marque italienne renoue avec ses précédentes campagnes inaugurées au début des années 90 et placées sous la houlette du génial Oliviero Toscani, photographe international ayant réussi à faire connaître l'entreprise de textile italienne par des photos particulièrement controversées. On se souvient encore de ces affiches géantes montrant un malade du SIDA mourant sur son lit d’hôpital entouré des siens en pleurs, un bébé blanc allaité au sein par une mère de couleur noire, une nonne embrassant sur la bouche un prêtre ou encore une famille pleurant la dépouille ensanglantée d'un homme abattu par la mafia… A la différence près que cela sent honteusement le réchauffé. Car si les publicités ayant fait la renommée de la marque étaient l’œuvre d’un grand artiste, celles-ci sont nettement moins artistiques et donnent surtout l’impression qu’on ressert les plats avec une recette déjà éprouvée mais qui a perdu de sa saveur. La polémique qui s’en suit et plus particulièrement la demande du Vatican de procéder au retrait des images du pape qui embrasse un imam n’en est que plus futile et insignifiante. Ces vaines agitations ne sont que le reflet d’un phénomène quelque peu inquiétant : la censure. Sous une forme particulièrement déguisée, et en utilisant le vecteur du « politiquement correcte », cette nouvelle manière de bâillonner la liberté d’expression est sournoise. On vire un humoriste d’une radio publique en France, on s’indigne de voir des photomontages grossiers de personnages publics qui s’embrassent, on brûle et on saccage les locaux d’un hebdomadaire français qui a, en son temps, publié des caricatures du prophète, on perturbe des conférences dans l’enceinte universitaire pour éviter le débat contradictoire d’idées, j’en passe et des meilleurs ! Je ferai un sort différent à deux chroniqueurs d’une émission télévisuelle du samedi soir sur une chaine publique française qui n’ont été viré que par la seule et unique volonté de leur employeur et non par le diktat de l’audimat ou d’un président d’entreprise. Je n’y vois aucune censure, même déguisée, mais la seule expression de la rupture d’une volonté qui n’était plus commune de collaborer sous peine de voir de la censure là où un animateur belge d’une émission dominicale dite de débats politiques décide seul de ne plus assurer la présentation de « Controverse »… A l’heure de prendre le relais en tant que rédacteur en chef de l’ex Bulletin de l’Ordre devenu OPEN BARREAU, je m’interroge donc sur le devenir de notre liberté d’expression. [caption id="attachment_599" align="alignright" width="300" caption="Amnesty International"][/caption]
C’est pourtant une coïncidence si, dans le cadre de sa campagne annuelle de vente de ses célèbres bougies, Amnesty International met en avant le droit à la liberté d’expression, dans des affiches élégantes dontb une est ici reproduite. Aujourd’hui, un pays sur trois censure Internet et les médias sociaux. N’oublions pas que l’affirmation classique de la Cour européenne des droits de l’homme étend la liberté d’expression aux propos qui « heurtent, choquent ou inquiètent tout ou partie de la population ». Les limites de ce droit fondamental nécessite donc de passer par l’évaluation du droit d’exprimer ce qui paraît provocateur, voire inacceptable, au regard d’un individu, d’un groupe ou d’une autorité. Avec la question piège : avons-nous encore, aujourd’hui, le droit de provoquer ? Comme l’indique Pierre-François DOCQUIR[1], « La persistance de cette prérogative révélerait que l’espace de libre circulation des idées et des informations ne s’est pas laissé réduire à un plus petit dénominateur commun, lequel signifierait la neutralisation des différences (au lieu de leur coexistence) et l’appauvrissement des débats publics ». En consacrant son numéro 35 aux propos qui heurtent choquent ou inquiètent, la Revue de droit de l’ULB contenait, en 2007, une étude remarquable de la question au regard des technologies de l’information, du terrorisme, du négationnisme, du blasphème et du statut de la presse. Sans vouloir aucunement rivaliser avec cette revue, je souhaiterai cependant confronter les idées, bousculer celles reçues, chasser au loin les noires pour ne conserver que les bonnes. Et je vous invite donc à nous faire part des vôtres : celles que vous souhaitez nous faire partager ou celles que vous souhaitez exposer à la discussion. Le nouveau format vous permet également de réagir « à chaud » en commentant directement les articles au bas de ceux-ci ou en les partageant sur les médias sociaux et de susciter ainsi le débat. En démocratie, c’est fondamental. Au Barreau, c’est l’endroit privilégié. Profitez-en, cette revue est la vôtre. C’est ce que nos premières plumes ont compris et je les en remercie. Les auteurs de ce premier numéro inaugurent ainsi une nouvelle tendance, un vent de renouveau. Je souhaite enfin souligner le travail important réalisé par Eric Therer pendant plus de 3 ans à la tête du Bulletin. Je vous souhaite une agréable lecture.
Rédacteur en chef de l’OPEN BARREAU
[1] P.-F. DOCQUIR, le «droit de réponse 2.0» ou la tentation d’un droit subjectif d’accès à la tribune médiatique, in Rev. dr. ULB, n° 35, 2007, pp.289-313.
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